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une cendre deux fois séculaire, de pauvres étincelles dont il a rallumé les veilleuses de la Vierge. Les paroisses de Tokyo ont déjà leurs églises. La flèche d’une cathédrale s’élance du centre même de Kyoto. La croix romaine domine, au nord et au sud de l’empire, les ports d’Hakodate et de Nagasaki. Derrière nos missionnaires qui essaient de reconquérir les âmes à une foi consacrée par des martyrs, les popes russes et les pasteurs protestans mènent leur pieuse propagande. J’ai dit quelle impression m’avait produite, en face du palais impérial, l’église orthodoxe dont la masse emphatique écrase un quartier de la capitale. Anglicans, presbytériens, méthodistes, anabaptistes, unitariens, toutes les sectes réformées rivalisent de zèle et n’étonnent pas moins par les variations de leur culte que par la variété de leurs architectures. Environ quatre-vingt mille Japonais sont convertis à l’Evangile. Et dans ce pays, où les chrétiens éprouvèrent de si dures persécutions politiques, non seulement les apôtres se disputent librement les cœurs, mais encore les entreprises les plus grossières de mysticisme peuvent se livrer à leur dévergondage sans que personne s’en émeuve. J’ai vu passer sous les yeux à peine surpris de la foule japonaise les bateleurs et les trombones épileptiques de l’Armée du Salut.

On en conclut généralement à l’indifférence religieuse des Japonais. Ils entretiennent, dit-on, des relations de politesse avec la divinité. Ils la saluent sous quelque forme qu’elle se présente, et même, pour n’en être point gênés, ils l’intéressent à leurs plaisirs et la mettent de moitié dans leurs fredaines. Leur inquiétude de touche-à-tout les fait courir aux nouveaux dieux, mais leur curiosité, bientôt satisfaite, les en détourne. Ils reviennent lestement aux anciennes pratiques, qui ne sont que les rites superstitieux de leur athéisme. A la divinité qu’ils encensent, ils murmureraient volontiers comme le petit juif de Voltaire : « Pardonnez-moi... Mais je pense entre nous que vous n’existez pas. » Ils le pensent ; ils n’en sont pas très sûrs, et, dans le doute, ils continuent de brûler leur encens. Leurs innombrables chapelles ne sont que des paratonnerres contre un orage problématique. Ils ont soin de les élever dans les endroits où la faiblesse humaine n’a point accoutumé de résister aux tentations. Les pèlerins dépensent à leurs pèlerinages plus de vin que de cire, et leurs multiples dieux servent de couverture à leurs multiples défaillances. Bouddhistes, shintoïstes, ils ne savent eux-mêmes ce qu’ils