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drapeau britannique sur le Borgou, tandis que le docteur Grüner était envoyé par le Togo allemand pour atteindre, par le Gourma, la rive droite du Niger. De son côté, le gouvernement français fit remonter par le commandant Decœur le long couloir formé par le Dahomey entre les possessions anglaises et allemandes : M. Decœur, allant du Sud au Nord, coupa la ligne suivie de l’Ouest à l’Est par le docteur Grüner, entra à Fada-N’ Gourma et poussa jusqu’à Say. Chacun de ces explorateurs multiplia si bien les traités et les accords avec les indigènes qu’au bout de quelques mois, on ne pouvait plus rien démêler dans l’écheveau embrouillé de leurs prétentions respectives : d’interminables discussions s’élevèrent sur la validité de celles-ci, sans que les nouvelles conventions conclues par les uns ou par les autres en 1895 apportassent autre chose que des complications nouvelles à la solution du problème.

Le vice de cette politique, — vice commun aux trois compétiteurs en présence, — était en effet qu’aucun acte de prise de possession effective ne suivait la conclusion d’un traité : à peine un explorateur parti, un autre, de nationalité différente, arrivait au même endroit et obtenait sans trop de peine des indigènes des engagemens contraires à ceux qu’ils venaient de consentir au premier voyageur. Bien mieux : le commandant Toutée ayant installé un poste français, qu’il baptisa du nom d’Arenberg, sur la rive droite du Nil, en aval de Boussa, le gouvernement en décida l’évacuation dès la première réclamation de l’Angleterre (octobre 1895) et sans qu’il eût été possible à celle-ci d’établir d’une manière quelconque qu’elle possédât un droit juridique sur ce territoire. Il semblait donc que, de part et d’autre, on hésitât à prendre le contact définitif, et que le jeu des petits papiers auquel on se livrait fût destiné à amuser la galerie plutôt qu’à préparer réellement une prochaine solution du conflit.

Cette situation ne manquait pas d’inconvéniens, principalement pour la France, qui est toujours disposée à attendre d’un heureux hasard la fin de ses difficultés, et qui compte souvent sur la bonne volonté de ses adversaires plutôt que sur ses propres efforts pour faire prévaloir ses vues. Quand, au début de 1896, commencèrent à Paris les premières négociations officielles avec la Grande-Bretagne et les premiers pourparlers officieux avec l’Allemagne en vue de la délimitation des possessions du Niger, la France se trouva soudain en face d’un ensemble de prétentions