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l’histoire de la littérature de son pays : l’œuvre est une combinaison du romanesque des Amadis et du « pastoral » des Arcadie. La pastorale est d’origine italienne, et on peut dire que toutes les Arcadie sont issues de celle de Sannazar, lequel, dans la conception du genre, s’est inspiré de Virgile ou de Théocrite. La popularité s’en est étendue, comme l’on sait, à l’Europe entière, et Ronsard dans ses Eglogues, ou du Bellay dans ses Jeux rustiques, Rémy Belleau dans sa Bergerie, Sidney dans son Arcadia, Cervantes dans sa Galatée, pour ne rien dire du Tasse dans son Aminta, sont autant d’imitateurs ou de disciples du poète napolitain. L’originalité propre de Montemayor a été de faire entrer dans le cadre de la pastorale la matière chevaleresque des Amadis. Les héros de sa Diana enamorada ne sont que des « bergers, » mais leurs aventures passent en invraisemblance ou en singularité celles même d’Amadis et d’Oriane, et l’humilité de leur condition se compense par l’exaltation de leur ardeur amoureuse[1].

Tel est également, parmi d’autres mérites que nous n’avons point à caractériser ici, le mérite essentiel de l’Astrée. Et comme les Amadis, — dont la diffusion remonte jusqu’aux premières années du XVIe siècle, — ne sont qu’un rifacimento des Romans de la Table ronde, nous nous trouvons enfin ramenés aux origines elles-mêmes de la « littérature européenne. » De Samuel Richardson, libraire anglais, et puritain, à Crestien de Troyes, de Clarisse Harlowe à Parsifal, du roman conçu comme une exacte imitation de la vie commune au roman conçu comme une espèce de poème, et de poème épique, l’intervalle est comblé. Personne n’a imité personne, et chacun, en se conformant au goût de ses contemporains, a peut-être cru qu’il n’obéissait qu’au sien propre. Mais, au cours d’une évolution trois ou quatre fois séculaire, la matière s’est transformée ; le temps, la race, le talent y ont mis leur marque sans qu’elle cessât pour cela d’être elle-même ; et, tout de même que dans la nature, ainsi, rien qu’en revêtant des formes différentes, les mêmes élémens, mêlés ou combinés en proportions inégales, ont donné naissance à des êtres vraiment différens. N’est-il pas vrai qu’ainsi comprises les recherches de

  1. Il est peut-être utile de noter que la Diane de Montemayor a été traduite en français dès 1578, et plusieurs fois réimprimée. L’édition que j’en ai sous les yeux est datée de 1592 ; et on sait que les premiers volumes de l’Astrée n’ont paru qu’en 1608 au plus tôt. Montemayor était Portugais d’origine.