Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je n’ose dire encore plus vivante, mais déjà plus appropriée aux exigences de son évolution interne et de l’esprit du temps. Je veux parler de l’influence de Plutarque, avec ses Vies parallèles ; de l’influence de la Poétique d’Aristote, et de l’influence de Sénèque le Tragique, ou des dix pièces qui nous sont parvenues sous son nom. Pour émouvoir les sensibilités et frapper les imaginations, les hommes de ce temps ont appris du plus amusant des biographes qu’aucune combinaison de l’esprit ne valait les catastrophes de l’histoire, et, selon l’ingénieuse expression de notre vieil Amyot, « les cas humains représentés au vif » sur la scène du monde, par les César et les Alexandre, les Démosthène et les Cicéron, les Brutus et les Caton. Entre ces « cas humains, » qui, naturellement, ne contenaient pas tous la même quantité d’émotion dramatique, la Poétique d’Aristote leur a procuré des raisons de fixer leur choix ; et à cet égard, il est sans doute curieux d’observer que, tandis que l’on travaillait, presque partout ailleurs et jusque dans le domaine de la logique, ce qui était une grande sottise, à détruire l’influence du philosophe, au contraire, son autorité n’a été jamais plus grande ni plus absolue, moins discutée qu’alors en matière d’esthétique dramatique. Enfin, à l’influence d’Aristote et de Plutarque s’est ajoutée celle de Sénèque, pour des raisons qui, — chose assez peu connue, — n’ayant nulle part plus agi qu’en Angleterre, n’ont donc été mieux mises par personne en lumière que par les historiens du théâtre anglais[1]. C’est ici un des points essentiels de l’évolution du genre dramatique, et il importe d’y insister.

Les Grecs de l’époque classique, depuis Homère jusqu’aux Alexandrins, sont des Grecs, et les Latins de la République sont des Latins ; mais Plutarque et Sénèque sont déjà des « cosmopolites ; » et peu importe qu’ils aient écrit l’un en grec et l’autre en latin, ce n’est plus à une cité, ou à une confédération de cités,

  1. Voyez A history of English dramatic Literature, des origines à la mort de la reine Anne, par A. W. Ward, 3 vol. in-8o ; Londres, nouvelle édition, 1899, Macmillan.
    L’auteur renvoie à une étude du Dr J.-W. Cunliffe : The Influence of Seneca upon Elizabethan tragedy (1893), que je ne connais pas, et au livre de John Addington Symonds, Shakspere’s Predecessors in the English drama, in-8o ; Londres, 1888, Smith et Elder.
    L’occasion m’étant donnée de citer le nom de John Addington Symonds, je la saisis une fois de plus pour recommander à tous ceux qu’intéresse le sujet sa remarquable Histoire de la Renaissance en Italie. Comment et pourquoi ne l’a-t-on pas traduite ?