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d’études, et sa perte sera plus d’une fois vivement ressentie. A qui donnera-t-on cette chaire de Littérature comparée que l’on avait fondée tout exprès pour lui à Lyon ? C’est une question secondaire. Mais ce qui importe, en tout cas, c’est qu’on ne « dénature » point la chaire, et, au contraire, qu’on en fonde plutôt, et au plus tôt, une autre à Paris, où je répète qu’il n’y en a point. A des études nouvelles, s’il faut des organes ou des moyens d’action nouveaux, le moment n’a jamais été plus propice à la fois et plus urgent de les procurer aux études de littérature comparée. « Il nous manque une histoire générale de la Renaissance en Europe, — écrivait précisément M. J. Texte, dans son introduction à l’opuscule de M. Betz ; — il nous manque une histoire générale du classicisme ou du romantisme, une histoire du drame moderne, combien d’autres livres ! Il semble que, dans la plupart des pays d’Europe tout au moins, l’histoire des littératures nationales ait été suffisamment étudiée pour qu’on puisse maintenant songer à ces travaux. Le XIXe siècle aura vu se développer et se constituer l’histoire nationale des littératures ; ce sera sans doute la tâche du vingtième d’en écrire l’histoire comparative. » Nous ne pouvons que nous associer à cette espérance ; et qui sait ? si de même que l’histoire des littératures nationales n’a pas contribué médiocrement à raffermir les nationalités de l’Europe contemporaine dans le sentiment de leur unité propre et de leur originalité personnelle, tout de même, l’histoire comparée de ces littératures n’aura pas pour effet de nous enseigner que le sentiment des unités nationales non seulement n’a rien d’incompatible avec celui de la solidarité européenne, mais encore qu’il en est le véritable fondement ? Il faut être au moins deux pour être solidaire l’un de l’autre, et que ces deux en fassent plus d’un.


III

Quelle méthode y emploierons-nous donc ? Pour le décider, faisons une hypothèse, et posons idéalement l’existence d’une littérature européenne, dont les littératures particulières ou nationales ne seraient, dans l’histoire de notre moderne Europe, que des manifestations locales et successives. On sait que l’hypothèse, à vrai dire, n’en est pas une, et les Chansons de Geste ou les Romans de la Table ronde, les Fabliaux, les Mystères, sont là pour témoigner qu’une telle littérature a réellement existé. Le