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celles du Midi. Comment donc et pourquoi la tradition s’est-elle interrompue ? C’est ce qu’il n’est pas inutile d’examiner, si, comme je le crois, les raisons qu’on en peut donner éclairent d’avance et déterminent dans une certaine mesure la notion même de méthode en littérature comparée.

Et premièrement, l’ancienne critique, la critique académique, avait tant abusé du « parallèle » que le discrédit du genre s’était étendu, de proche en proche, à toute espèce de comparaison, et déjà, vers 1830, rien ne paraissait plus suranné, plus artificiel, plus « poncif » que de comparer Corneille avec Racine, si ce n’est de les comparer tous les deux avec Shakspeare ou Lope de Vega. C’était en vain qu’en histoire naturelle, par exemple, ou en philologie, et précisément à la même époque, la méthode comparative renouvelait, comme on dit, la face de la science, et en vain que des sciences nouvelles, — si toutefois ce sont des sciences, — telles que la mythologie ou la religion comparées, se fondaient sur cette méthode même, ou plutôt en sortaient tout entières et tout armées ! La critique n’y prenait pas garde. Elle persistait à ne vouloir voir dans la « comparaison » qu’un exercice de rhétorique, lequel, comme tous les exercices du même genre, était à lui-même sa fin, et dont le succès pouvait assurément faire honneur à l’habileté du critique ou du bel esprit, mais, après tout, ne servait de rien à l’avancement de la connaissance. On estimait communément que, de la comparaison de Corneille et de Racine, une seule chose résultait, qui était que l’auteur de la comparaison préférait, pour sa part, Corneille à Racine, ou Racine à Corneille ; et on le lui reprochait comme une marque de singulière étroitesse d’esprit : le vrai critique, en ce temps-là, devait les préférer tous les deux ! Mais, après les avoir « comparés, » s’il s’avisait, le pauvre homme, de les « juger » et surtout de les « classer, » c’est alors que l’on se fâchait, et dans les petits journaux, ou même dans les grands, il n’y avait pas assez de plaisanteries, ni d’assez spirituelles, contre cette critique dont l’objet semblait être de loger des talens dans l’alcool de ses bocaux dûment étiquetés : GENUS TRAGIGUM : SPECIES CORNELIANA : varietas Crebillonensis.

C’est qu’aussi bien le préjugé se fortifiait d’un autre, et il était également entendu que dans une œuvre littéraire, dans une tragédie de Racine, dans un roman de Richardson, dans un poème de Gœthe, ce qu’il y a d’intéressant, c’est un peu le milieu qui les a vus paraître, et dont ils expriment quelques élémens, mais