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nous, et comment, en quel sens, tout le long de sa route, le génie des races qui se l’appropriaient successivement en a modifié les détails, ou peut-être même le fond. Mais si l’on veut, dans l’hypothèse contraire, qu’il soit né sur place, en différens lieux et en différens temps, comment alors expliquerons-nous cette coïncidence ? et, de géographique, en quelque sorte, qu’elle était, la recherche comparative, pour être devenue psychologique, n’en est pas moins intéressante. Seulement, à leur source, dans leur thème original et premier, la chanson populaire ou le conte sont-ils vraiment de la « littérature ? » Je ne voudrais à ce propos m’embarrasser ici de distinctions subtiles : mais entre le Petit Poucet et la Divine Comédie, par exemple, ou le Petit Chaperon rouge et le Faust de Gœthe, ou même celui de Marlowe, n’y a-t-il vraiment qu’une différence de degrés ? En d’autres termes, et si nous voulons nous entendre entre nous, ce qu’il convient d’appeler littéraire, n’est-ce pas uniquement ce qui a eu l’intention de l’être, ou, mieux encore et avec plus de précision, n’est-ce pas ce qui a tendu, de la part et dans la pensée de son auteur, quel qu’il soit, anonyme ou illustre, à la réalisation, consciente et voulue, d’une certaine idée de grâce ou de beauté ? On remarquera que la même difficulté ne laisse pas de faire hésiter, en plus d’une occasion, les historiens de l’art. Un ustensile de ménage, une amphore, par exemple, ou un miroir sont des documens archéologiques du plus grand intérêt. Dirons-nous qu’ils soient de l’art ? Et si l’on décide qu’ils en sont, et pareillement, qu’une chanson ou un conte populaire sont de la littérature, ne voit-on pas le danger, lequel est, en « littérature comparée » comme en art, de subordonner infailliblement le mérite ou le prix de la forme à la signification du fond, et la valeur des objets eux-mêmes, non pas du tout à ce qui en fait l’intérêt d’art, mais l’intérêt documentaire, historique, et je dirai, si l’on y tient, scientifique ?

Mais à cette question non plus, je ne me propose point aujourd’hui de répondre, et des discussions auxquelles elle pourrait donner lieu les lecteurs ne trouveront pas trace dans cette conférence que j’ai récrite ou écrite pour eux. Après tout, nous avons toujours le droit de circonscrire notre sujet, quelque relation qu’il soutienne avec un sujet plus vaste ; et, fermement convaincu d’ailleurs « qu’on ne saurait ni connaître le tout sans connaître les parties, ni les parties sans connaître le tout, » il nous est toujours