Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

harangues officielles, que Rome est le symbole de l’unité nationale. Il est des symboles qui sont des liens, mais il en est qui ne sont que des étiquettes. En fait, comme le dit M. Lombroso, l’union n’est pas l’unification ; et n’est-ce pas, précisément, à la suite de l’occupation de l’isthme des Sept Collines et de la résistance passive que rencontre toujours cette occupation, que, de part et d’autre de cet isthme, depuis trente ans, une partie des forces vives de l’Italie s’abstient de toute vie politique et de tout concours à l’œuvre de la fusion nationale ?

De telles discussions, il y a quelques années seulement, eussent semblé parfaitement oiseuses ; tout de suite on y eût coupé court, en les dénonçant comme un extrême artifice des vieux partis pour remettre en question le fait accompli. Mais ce n’est point aux vieux partis, certes, qu’obéissent les nombreux penseurs, — anthropologistes, historiens, sociologues, — qui ont répondu à la convocation de M. Antonio Renda : ce sont des réalistes, qui travaillent non pour l’Italie d’avant-hier, mais pour celle d’après-demain ou peut être, si Victor-Emmanuel le veut, pour celle de demain.


Il y a quelques jours, au moment même où les populations italiennes, chacune en son dialecte et chacune à sa manière, faisaient l’oraison funèbre d’Humbert Ier, un publiciste de Rome, M. Edouard Arbib, prononçait, dans la Nuova Antologia, une autre oraison funèbre presque aussi douloureuse. Il pleurait l’ancien idéal patriotique aujourd’hui disparu. « On ne trouve presque plus jamais, écrivait-il, chez ceux qui s’occupent de politique, la conscience de l’unité nationale... J’ai éprouvé un serrement de cœur en voyant avec quelle désinvolture des hommes de sens raisonnent de cette éventualité, possible et prochaine, d’une Italie défaite (disfacimento). C’est le discours du jour, c’est la manifestation d’une défiance universelle. Dans l’âme du peuple semble s’être évanoui, ou peu s’en faut, le sentiment de l’incommensurable durée des institutions, et s’est glissé le sentiment qu’un changement est inévitable. Les vieux eux-mêmes, si on les pressent à ce sujet, disent avec candeur qu’ils désirent mourir bien vite, par crainte de voir aller en pièces cette Italie à laquelle, dès leur jeunesse, ils donnaient leur pensée, leur cœur, leur bras et leur sang. » M. Arbib, alors, cherche la cause de ce phénomène, « le plus pénible et le plus alarmant qui puisse advenir dans la vie d’un peuple. » Cette cause, il la trouve, presque exclusivement.