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pas, sous l’homogénéité souvent pompeuse de leur narration, la différence profonde qui distingua, par exemple, l’insurrection lombarde et le lasciar fare napolitain.

D’une part une insurrection patriotique, groupant sous ses enseignes les bras et les cœurs de tout un peuple, et d’un peuple de braves, et voulant à tout prix l’expulsion de l’étranger. D’autre part, au Midi, un coup de force, souhaité par l’élite d’une bourgeoisie libérale, réalisé par une bande qui s’appela les Mille ; et par-dessous cette bourgeoisie, sur le passage de ces Mille, une masse populaire inerte, qui n’avait ni l’idée ni le courage soit de répudier l’aventure, soit de la seconder, une masse parfaitement insensible aux exemples d’héroïque défensive donnés par une reine que pourtant elle aimait, une masse rebelle au métier des armes, — M. Niceforo l’explique en termes si vigoureux que nous n’oserions ici les reproduire, — une masse, enfin, qui semble faite pour provoquer les paniques, et qui constamment, dans une mêlée, exposerait à ce péril l’armée du royaume d’Italie. « L’unité politique de l’Italie, écrivait récemment M. le député De Marinis, avait pour elle, au Midi, le cœur et l’intelligence d’un petit nombre d’hommes supérieurs, mais non pas la conscience populaire. »

Que si, poussant plus loin, nous voulions épier les caractères de cet autre mouvement qui conduisit l’armée piémontaise jusqu’au seuil de la porte Pie, nous saisirions d’autres variétés d’aspect. Un certain nombre des instigateurs estimaient, comme le disait dès 1796 un Mémoire adressé au Directoire en faveur de la conquête de Home, que « c’est sur la puissance temporelle des Papes, sur les revenus dont ils jouissent, que repose principalement leur autorité spirituelle[1], » et Mazzini se flattait que la spoliation du souverain entraînerait à bref délai la déchéance du pontife.

Bref, ce phénomène de l’unité fut infiniment complexe : les prestiges de l’archéologie, qui racontait l’ancienne grandeur de l’Italie Voir à ce sujet un chapitre très curieux et très nouveau dans le livre de M. Albert Duvourcq : Murat et la question de l’unité italienne en 1815. Rome, Cuggiani, 1898.</ref>, les inspirations de Dante Alighieri, qui pleurait cette grandeur, les actives susceptibilités de la conscience nationale, qui la voulait restaurer, et les obsédantes menées des sectes anti-religieuses,

  1. Cité dans le beau livre de M. Albert Dofourcq : le Régime Jacobin en Italie, p. 567. Paris, Perrin, 1900.