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la part du pouvoir, et quelque responsabilité, aussi, de la part dos populations méridionales, qui ont trop mollement appelé sur leur triste sort la sollicitude des gouvernans. M. Nitti, dans le livre magistral qu’il vient de publier sous le titre Nord et Sud, a mis en relief les pénibles effets de cette indifférence et de cette mollesse, et la situation de victimes où les régions méridionales ont été reléguées.

Mais ce malheur avait une cause plus profonde, et cette cause était une erreur. Fourvoyé par les mauvaises habitudes intellectuelles qu’inculqua longtemps l’esprit révolutionnaire, et dont les sectes perpétuaient l’héritage en même temps qu’elles en recueillaient le bénéfice, on traitait la mosaïque italienne, purement et simplement, comme une table rase, et l’on oubliait les facteurs antérieurs, soit ethniques, soit surtout historiques, qui avaient mis leur empreinte, bien personnelle et bien décisive, sur les divers carrés de la mosaïque. Lorsqu’on commença de discerner l’erreur, une sorte de superstition la maintint : l’impénitence finale à cet égard semblait être un acte de piété à l’endroit de l’unité de l’Italie. C’est ce qu’écrivait naguère à M. Renda un éminent criminaliste, M. Scipione Sighele : « La plupart, disaient-ils, craignent de voir chanceler l’unité politique de l’Italie s’ils proclament au grand jour qu’il y a deux Italies ; » et l’inopportunité, pour M. Sighele, consistait, tout au contraire, à fermer les yeux à la lumière du grand jour. « Il y a deux Italies, profondément diverses et hétérogènes, affirmait à son tour M. Mario Pilo : elles vont, peu à peu, s’enchevêtrant l’une dans l’autre et se fondant, comme peuple, dans le grand creuset de l’unité nationale ; mais, d’origine et de nature, elles sont plus étrangères entre elles, il le faut avouer, que l’Italie du Sud ne diffère de la Grèce et de l’Espagne, que l’Italie du Nord ne diffère de la France et de la Suisse… »


Tandis qu’une certaine philosophie politique avait trop longtemps dissimulé l’Italie réelle sous le voile de ses coutumières abstractions, les historiens à leur tour, s’emparant de l’unité italienne comme d’un superbe canevas, entreprenaient sur ce canevas, si l’on peut ainsi dire, une tapisserie uniforme, conventionnelle, irréelle. A les lire, on eût cru que dans toutes les régions de l’Italie le mouvement unitaire avait eu les mêmes origines, les mêmes phases et le même esprit. On ne saisissait