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pas accepter le cœur entreprenant de Victor-Emmanuel III.

Mais la générosité de son action sociale courrait le risque de paralysie s’il se laissait entraîner, sous l’impression du crime de Bresci, à une politique de représailles contre les partis avancés. Qu’une certaine fraction, en Italie, s’intitule socialiste-anarchiste, ce n’est point une raison pour faire retomber sur tous les députés socialistes l’unanime malédiction qui pèse sur l’assassin de Monza. Un certain nombre d’organes constitutionnels ont commis cette erreur de polémique : il la faut déplorer ; ce n’est point en mettant la légèreté au service de l’injustice qu’on créera les élémens d’une sérieuse vie publique. Les criminelles associations qui, dans l’ombre, aiguisent le poignard ou chargent le revolver, ne se montrent point disposées à épargner les socialistes : M. Bovio, pour avoir mal parlé de Bresci, a reçu d’occultes et terribles menaces ; et tel journal anarchiste d’Ancône, l’Agitazione, s’est constamment distingué par sa véhémence d’invectives contre tous les groupes d’extrême gauche. Inventer des solidarités imaginaires pour se débarrasser d’adversaires politiques gênans serait indigne d’un gouvernement qui se pique de libéralisme ; les hypocrisies légales ont toujours leur lendemain, et ce lendemain est une revanche ; l’expérience sanglante faite à Milan, en 1898, par le cabinet Pelloux, n’a pas réussi.

Le plus clair résultat de cette expérience fut de contraindre le parti socialiste, au cours des deux dernières années, à sacrifier volontairement une part de son autonomie et de son originalité distincte ; à se grouper avec d’autres partis pour la défense des libertés populaires ; et à laisser un peu de côté, provisoirement au moins, l’exposé de ses plans de reconstruction sociale. M. le professeur Enrico Ferri, tout récemment, déplorait cette évolution au nom du progrès général des idées ; et M. Bissolati, son collègue au Parlement, la justifiait au nom des nécessités politiques. Est-il opportun, pour les ennemis du socialisme révolutionnaire, de multiplier, entre ce groupe et les autres partis avancés, les occasions de coquetterie ? C’est au jeune souverain d’en décider. Il semble dès maintenant que Victor-Emmanuel III ne veut aucunes lois nouvelles, de répression ; les anciennes lui paraissent suffire. Mais la répression n’est pas tout : en présence de certaines difficultés d’ensemble, elle n’est qu’un misérable moyen dilatoire ; elle est l’opportunisme de la peur. Victor-Emmanuel III n’a pas le droit ni probablement l’envie d’être simplement un gendarme.