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comme la représentation nationale. Cependant, quelque sereine confiance qu’il ait affichée dans les « libérales institutions du royaume, » on lui prête l’heureux dessein de prendre contact avec le peuple, par une série de voyages à travers l’Italie. Le Parlement, cette écorce, cache parfois aux rois constitutionnels la sève de l’arbre : il semble que Victor-Emmanuel III veut sentir fermenter la sève elle-même.


Il a, dans son discours du trône, signalé d’une voix ferme ce « plébiscite de douleur » dont les populations prenaient partout l’initiative. Le terme était heureux et fut le bienvenu ; c’est la piquante fortune du mol « plébiscite, » d’avoir figure séditieuse sur un versant des Alpes et d’être persona gratissima sur l’autre versant. Mais une partie de la presse monarchiste, égarée par cette originale expression, a salué le deuil général de l’Italie comme la consécration formelle de tout un système politique : c’était outrepasser singulièrement la pensée royale, et surtout la pensée de la péninsule.

On ne croirait point que Sénèque eût en vue l’Italie lorsqu’il écrivait, il y a dix-neuf siècles : « Les grandes douleurs sont muettes. » Nulle part, au contraire, le chagrin public ne se traduit avec une plus incoercible effusion : nous en avons eu la preuve oculaire à Rome même, au surlendemain de la catastrophe de Monza. D’innombrables affiches, bordées d’un deuil sévère, tapissaient la blancheur écrue des nouveaux immeubles et gâtaient l’indéfinissable patine des vieux palais. Toutes les associations, tous les corps de métiers, tous les groupemens de provinciaux émigrés à Rome, confiaient leur douleur à l’affichage, avec une émouvante unanimité. On sait d’ailleurs qu’en terre italienne, chaque fois qu’une société dont la caisse est bien remplie perd l’un de ses membres, elle fait les frais de quelques annonces lugubres, çà et là collées à travers la ville, pour associer tous les citoyens à ce demi-deuil de famille. Aussi les républicains ou les socialistes n’ont-ils ressenti nul malaise en voyant tel groupement dont ils faisaient partie, — et où même, peut-être, ils étaient la majorité, — infliger une flétrissure à Bresci, rendre hommage au roi victime, et compatir à l’infortune de la reine : on saluait dans le roi victime le président honoraire de l’association, et l’on honorait dans la reine-mère la benemerita socia. Ces hommages étaient trop intimes pour avoir une portée politique