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distinction de parti. Bourbaki, Cathelineau, Charette, c’est bien.

Ils avaient rejoint sur la terrasse les jeunes gens. Marie avait encore les yeux rouges, mais son sourire était revenu.

— Est-ce qu’ils ne sont pas gentils à voir ? fit le vieux Jean Réal. Et dire qu’on ne voulait pas marier ces enfans-là ! Que diable, il n’y aura jamais trop de Réal !

Les yeux perçans entre les paupières ridées avaient immédiatement vu le drame intime. Il attira Marie, et, caressant d’une tape amicale la joue de son petit-fils :

— Va, mon garçon ! Je me suis marié comme toi la veille d’une guerre, et d’une rude ! Mais, en me battant, je revoyais ta grand’mère qui m’attendait, je pensais à mon toit de Charmont, à ces arbres, à ce champ-là. Ça me donnait du cœur. Tu vois, j’en suis revenu.

Rose, qui accourait, se jeta dans les bras de sa mère et, l’embrassant, annonça, essoufflée, avec une révérence comique :

— On réclame Messieurs et Mesdames pour le vin d’honneur.

Jean Réal, dont la bienfaisance s’étendait sur le village entier, avait invité tous les paysans amis du château. Une collation était préparée pour eux dans les communs. Pendant le dîner de noces, ils se régaleraient du bon vin pétillant et léger, de ce clos Réal célèbre à la ronde.

— Dépêchons-nous, avant que la nuit tombe. Et préviens ta grand’mère, dit Mme  Réal à Rose, qui repartit au galop.

Sous un hangar tendu de toiles et décoré de branchages, une quarantaine d’hommes en blouse propre et de femmes au costume noir égayé d’un blanc bonnet de dentelles, les jardiniers du parc, les vignerons du domaine se pressaient autour des trois couples, en qui, de génération en génération, s’était renouvelée la famille des propriétaires de Charmont, Jean, Charles, Eugène Réal et leurs femmes. De la vieille Marceline à Charles, de Gabrielle à Marie, c’étaient, reliant le vétéran de Waterloo à la recrue de la Loire, une chaîne solide, un siècle de vertus domestiques et de traditions françaises. Tous obscurément les respectaient, reconnaissant en eux des représentans autorisés de leur race, des fils de cette terre tourangelle, leur aïeule commune. M. Pacaut, le maire, un forgeron retiré, porta la parole. La jeune Céline, la fille du garde champêtre, venait d’offrir un bouquet. Les trois femmes l’embrassèrent ; Eugène remercia. On débouchait, sur un signe du grand-père, les premières bouteilles, et