Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
LES TRONÇONS DU GLAIVE.

tion future, M. Real confiait à sa femme le parti qu’il venait de prendre. La situation lui dictait son devoir : il ne pouvait se résoudre à rester inactif. Il ne lui avait parlé jusque-là que de son désir et de ses scrupules : « Comment servir le mieux ? Les hommes capables de tirer un coup de fusil ne manquaient pas. Que chacun utilisât son savoir, ses aptitudes ! »

Inquiète, Mme Réal l’interrogea du regard.

— Tu te souviens de mon projet de torpilles ? On peut l’appliquer à la destruction des ponts, des voies ferrées. Poncet a parlé à la Commission. On a décidé de m’en faire construire un certain nombre. Mais les poudres spéciales et divers objets font défaut. Je suis forcé d’aller chercher cela en Angleterre.

Le visage de Mme Réal s’éclaira. Elle avait craint un départ plus dangereux. C’était bien assez des périls qu’allait courir Eugène, et que comptait affronter Louis de nouveau, dans le service de la télégraphie de campagne. Sans parler de la folie d’Henri, qui, malgré ses dix-sept ans, voulait absolument être soldat, lui aussi ! Il les harcelait de supplications, jurait de s’engager en fraude ; son père avait dû se fâcher.

— Quand comptes-tu partir ? demanda-t-elle simplement.

Elle ne faisait aucune objection, sachant que son mari n’agissait pas à la légère. Elle avait appris à respecter sa douceur ferme. Vive, expansive, ayant dans le ménage une part d’initiative et d’autorité, elle suivait du même pas depuis vingt-cinq ans la route quotidienne, se retrouvant toujours à l’unisson, dans un mutuel élan de confiance et de franchise. Belle encore, sous ses bandeaux noirs, le teint frais et le buste jeune, elle gardait une bonne humeur avenante, un constant équilibre moral.

— Je me mettrai en route avec Gustave, dit M. Réal, et de Rouen je gagnerai Honfleur ou Le Havre.

— Il ne faut pas songer à s’embarquer à Calais, intervint le docteur. On tomberait dans les croiseurs ennemis.

Il retournait créer une ambulance qui suivrait les mouvemens de l’armée de Bourbaki, sitôt celle-ci constituée. Le commandant de la Garde, chargé par Bazaine d’une mission politique auprès de l’Impératrice, n’avait pu rentrer dans Metz, et, venu offrir son épée à la Défense nationale, il avait accepté le commandement des troupes du Nord.

Le grand-père dit de sa voix menue, restée très nette :

— Gambetta a raison d’accueillir tous les dévouemens, sans