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même assez souvent qu’un gouvernement, aussi bien qu’un homme, ne se doute pas par avance de ce qu’il sera amené à faire à un moment donné. Il est sincère aujourd’hui en protestant contre ce qu’il fera demain. Le plus sage est de ne pas se laisser déborder par les événemens. Pour cela, toutefois, il ne suffit pas que la bonne volonté soit d’un seul côté. Tout le monde civilisé pense aujourd’hui que l’effondrement du vieil édifice chinois serait une catastrophe d’autant plus redoutable que personne ne se sent assez fort pour la dominer. Mais c’est une considération sur laquelle on pourrait être conduit à passer : il suffirait que les convoitises de l’un s’allumassent pour que toutes les autres se missent aussitôt à flamber. On entrerait alors dans une voie de complications infinies. Le gouvernement chinois le comprendra-t-il à son tour ? On s’explique que l’Impératrice ait voulu se soustraire à la mainmise directe des armées internationales, soit par une crainte confuse de ce qui aurait pu arriver dans l’effervescence du premier moment, soit pour mieux rester maîtresse de ses déterminations ultérieures. A supposer qu’elle se rende compte de la situation comme nous venons de l’exposer, et qu’elle veuille négocier, peut-être négociera-t-elle plus librement en se tenant à quelque distance. Dans ce cas, quel sera le négociateur ? On l’ignore : on ne voit rien, ni personne. Nos troupes s’efforcent de mettre de l’ordre à Pékin, et elles y arriveront matériellement au bout de quelques jours. Mais après ?

Il n’y a plus de gouvernement. Nous ne rencontrons en face de nous aucune autorité qui tienne encore debout. Les vice-rois, dans leurs provinces, effrayés par la rapidité et la facilité relative de la prise de la capitale, se tiennent tranquilles : mais ils attendent, et probablement ne savent pas encore à quel parti ils s’arrêteront enfin. Pour ce qui est de Li-Hung-Chang qui, naguère encore, se mettait si volontiers en avant, se disait investi d’un mandat officiel en vue des négociations à ouvrir, et cherchait effectivement à les entamer avec les puissances, sa confiance en lui-même semble avoir quelque peu diminué, et naturellement celle qu’il inspirait aux autres n’en a pas été accrue. Beaucoup disent qu’il est en disgrâce. L’Impératrice ne lui pardonnerait pas d’avoir mis trop peu d’empressement à se rendre aux appels qu’elle lui adressait, et d’être resté à Shanghaï, au lieu de venir à Pékin. Le vieux vice-roi se demandait sans doute ce qu’il y serait allé faire, et peut-être n’était-il pas sans craintes sur les risques personnels qu’il pouvait y courir. Quoi qu’il en soit du passé, se sent-il encore aujourd’hui en mesure de négocier ? S’il a jamais eu un mandat régulier pour le faire,