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avoir, et nous dirions que tout est bien qui finit bien, si nous étions sûrs que tout est fini. Mais est-ce bien certain ? Il serait peut-être imprudent, parmi les préoccupations que doit causer l’avenir, de ne pas faire entrer en ligne de compte le mouvement que l’Angleterre a dessiné du côté de Shanghaï, peut-être avec la connivence de plusieurs vice-rois. L’avertissement ne s’adresse pas seulement à l’Europe, mais encore à la Chine. Si la situation actuelle se règle par un arrangement immédiat, il sera sans doute possible d’éviter des complications plus grandes ; mais, si elle se prolonge, et si, en se prolongeant, elle s’embrouille et s’aggrave de plus en plus, nul ne peut prévoir tous les incidens qui risqueraient de se produire, ni le parti que telles ou telles puissances essaieraient d’en tirer. Un hivernage des troupes internationales en Chine, — et c’est là ce qui nous menace, — n’entraînerait pas seulement des conséquences militaires, mais des conséquences politiques qui, échappant dès aujourd’hui à toute prévision, pourraient bien échapper par la suite à tous les efforts pour les diriger ou les modérer.

Que dire de l’Allemagne ? Son gouvernement proteste, comme les autres, contre toute pensée d’ambition personnelle. Il semble, à écouter le langage qui se tient sur tous les points du globe, que le désintéressement le plus édifiant soit, en cette fin de siècle, la vertu uniforme des nations et de ceux qui les guident. Mais, si on ne s’en tient pas au langage, si on regarde, si on observe, si on réfléchit sur ce qu’on voit, la conclusion est différente. L’empereur Guillaume aime d’autant plus la mise en scène qu’il s’y entend à merveille : aussi convient-il, dans tout ce qu’il dit et dans tout ce qu’il fait, d’attribuer une part à l’exercice de cette faculté un peu théâtrale qu’il pousse parfois jusqu’à l’exubérance. Il étonne, il entraîne, il éblouit. Mais on se méprendrait en croyant que c’est là l’homme tout entier. Sous un décor romantique, l’Empereur allemand conserve un esprit très pratique, parfaitement lucide et avisé, et qui laisse rarement échapper l’occasion de s’assurer quelque avantage. Depuis qu’il est sur le trône, l’Allemagne ne s’est certainement pas diminuée en Europe, et elle s’est considérablement agrandie dans d’autres continens. En Afrique, il n’a fait, si l’on veut, que continuer en la développant une politique commencée avant lui ; mais l’œuvre allemande en Asie est la sienne propre ; c’est lui qui en a eu l’initiative ; on se rappelle avec quelle brusque audace il l’a entamée, et personne n’a la simplicité de croire qu’il n’ait pas l’intention de la pousser plus loin. Ses derniers actes ont confirmé ce sentiment.