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côté de Shanghaï. Toutes les autres puissances étaient engagées dans le Tchi-li où elles accomplissaient une œuvre d’intérêt général ; elle-même, par tous ses organes officiels et officieux, se prononçait énergiquement contre toute démarche qui pourrait aboutir au démembrement de la Chine : dès lors, ne devait-elle pas s’abstenir d’une intervention isolée sur un point quelconque du Céleste Empire, et peut être plus particulièrement sur celui où on lui attribuait avec quelque fondement des ambitions particulières ? La diversion qu’elle menaçait de faire devait inspirer quelque étonnement, voire quelque inquiétude, aux autres puissances. L’histoire, et même la plus récente, montre que l’Angleterre, lorsqu’elle est débarquée seule quelque part, fût-ce pour y rétablir l’ordre au profit de tous, ne s’en va plus, et ne tarde pas à considérer le pays comme lui appartenant. Une expérience aussi probante que celle de l’Egypte ne pouvait pas être perdue. Plusieurs puissances, et notamment la France, ont annoncé que, si l’Angleterre débarquait des troupes à Shanghaï, elles en débarqueraient également. La plupart ont des concessions à côté de la concession anglaise ; il serait difficile de leur contester un droit dont l’Angleterre userait. Et il ne servirait à rien de dire que le gouvernement de la Reine avait obtenu une autorisation spéciale du vice-roi, car on conteste précisément au vice-roi l’autorité nécessaire pour l’accorder, et surtout pour l’accorder à celui-ci en la refusant à celui-là. Pendant quelques jours, on s’est demandé ce qui allait arriver. L’amiral Seymour avait été envoyé devant Shanghaï avec une intention qui paraissait claire. Néanmoins le gouvernement anglais, en présence de l’attitude de certaines autres puissances, montrait quelque hésitation, ou plutôt faisait quelques réflexions. Les journaux impérialistes, à Londres et à Shanghaï, lui reprochaient avec véhémence ce qu’ils appelaient déjà un recul ; ils assuraient que le prestige britannique en subirait une irrémédiable atteinte ; ils demandaient une action énergique et prompte. Le gouvernement ne s’y est pas laissé entraîner. Il a compris ce qu’il y aurait de grave, et assurément de répréhensible, à rompre le parfait accord qui avait existé jusque-là entre les puissances, et à soulever une question nouvelle avant d’avoir résolu celle qui était pendante à Pékin. Malgré les clameurs de la presse chauvine, il s’est contenté de débarquer quelques soldats dans sa concession de Shanghaï, exemple qui a été aussitôt suivi par nous ; mais il ne s’agissait de part et d’autre que d’un petit nombre d’hommes, et d’une démonstration platonique. Le gros des forces britanniques a été, comme il convenait, dirigé vers le Nord. L’incident a donc eu le dénouement qu’il devait