Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attendre de nouveaux renforts. La résistance des légations était sur le point d’atteindre ses dernières limites : quelques jours encore, et elle aurait cessé. L’insuccès de la première tentative faite sur Pékin par l’amiral Seymour était de nature à jeter du découragement dans les esprits de nos officiers, ou du moins à leur inspirer quelque timidité. S’ils avaient obéi à une circonspection qui semblait d’ailleurs si légitime, que seraient devenus les Européens enfermés dans les légations et les chrétiens dans le Pétang ? Avec une audace que le succès a récompensée, les troupes alliées n’ont tenu compte que de cette considération. Malgré leur faiblesse numérique, elles ont marché sur la capitale, au milieu de campagnes en partie inondées, où les Chinois et les Boxeurs se présentaient devant elles en masses profondes. Rien n’a arrêté leur élan. Elles ont été en quelques jours sous les murs de la ville. Le lendemain elles étaient dans la ville même, et le surlendemain le palais impérial avait succombé.

Mais il était vide. Malgré les bruits contradictoires que les Chinois, fidèles à leurs vieilles habitudes, ont fait courir à ce sujet, il est aujourd’hui certain que l’Empereur et l’Impératrice ont pris la fuite, sans qu’on sache encore dans quelle partie plus ou moins éloignée de l’Empire ils se sont réfugiés. Et, quand même on le saurait, la situation n’en serait pas très sensiblement changée : avec nos forces actuelles, il nous serait impossible de nous mettre à la poursuite des fugitifs, et c’est même une question de savoir si, lorsque tous nos renforts seront arrivés et réunis, il y aura lieu de le faire. Cette course, en effet, pourrait durer longtemps. La Chine est immense, et pour peu que l’Impératrice prenne le parti de fuir toujours devant les troupes internationales, celles-ci devront fournir de nombreuses étapes avant d’atteindre le but mobile qui se dérobera continuellement devant elles. Il y aurait bien une solution : ce serait de déclarer déchue la dynastie mandchoue et d’en mettre une autre à la place. Peut-être se verra-t-on finalement forcé d’y recourir ; mais combien sera-t-elle onéreuse et coûteuse ! Une dynastie nouvelle n’aurait de force que celle que nous lui donnerions ; elle ne nous en apporterait elle-même aucune. Ce serait donc pour les puissances l’obligation d’entrer à fond, et pour longtemps, dans les affaires chinoises. Il faudrait se résigner à une guerre civile dont le résultat le plus vraisemblable serait d’amener la dislocation de la Chine ; et cela, certes, n’est souhaitable pour personne. Tous les gouvernemens protestent à qui mieux mieux contre une politique qui pourrait avoir cette conséquence, et nous les croyons sincères. Il ne faudrait pourtant pas trop s’y fier. Cette sincérité d’aujourd’hui