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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

Deux heures après, rentrés dans leur appartement, les Réal, songeurs, voyaient accourir Poncet, une proclamation à la main. Il la jeta sur la table.

— Lisez.

Troublés encore, mais envisageant l’avenir avec plus d’espérance, ils écoutèrent, les yeux picotés d’émotion, Eugène scander, d’une voix tremblante, ces mots décisifs qu’attendait le pays, poignans et sonores comme un appel de clairon :

«… La situation vous impose de grands devoirs. Le premier de tous, c’est de ne vous laisser divertir par aucune préoccupation qui ne soit pas la guerre, le combat à outrance ! Le second, c’est, jusqu’à la paix, d’accepter fraternellement le pouvoir républicain, sorti de la nécessité et du droit… Il faut mettre en œuvre toutes nos ressources, qui sont immenses, secouer la torpeur de nos campagnes, réagir contre de folles paniques, multiplier la guerre de partisans, et enfin inaugurer la guerre nationale !… La République fait appel au concours de tous… C’est sa tradition à elle d’armer de jeunes chefs : nous en ferons ! Levons-nous donc en masse, et mourons plutôt que de subir la honte du démembrement ! »

Poncet, d’un air triomphant, regarda Charles et Gustave. Leur visages répondaient. Un commun élan d’énergie et de fierté leur mettait une flamme aux joues. Plus d’opinions politiques : un seul cœur. M. Réal se tourna vers son fils :

— Tu demandais un chef. Nous l’avons !

II

Le soleil reparut ; dans la fente des nuages, un coin d’azur s’élargissait ; parmi la brume froide, l’air encore pluvieux, un voile d’or tomba sur les hêtres roux de la longue avenue de Charmont. Et ce fut un sourire à travers les larmes, l’acquiescement des choses, le symbole de cet après-midi même, éclaircie de bonheur entre les tristes jours.

Marcelle et Rose, entraînant Marie pâle et joyeuse dans l’ampleur de la robe de satin blanc et du voile, relevés de fleurs d’oranger, firent irruption sur le perron. Elles guettaient du côté de la grille, au bout de l’avenue. Tout à coup, ce furent des cris, des battemens de mains : « Les voilà !… » Une voiture débouchait. Elles avaient reconnu l’oncle Poncet, que leur plus jeune frère