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barbarie où la Réforme aurait fait pénétrer un premier rayon. Partout s’élève du sol national, contre cette illusion de la partialité historique, le démenti des abbayes, où l’art du moyen âge attarde ses miracles, et des champs de bataille dont le nom seul évêque un héroïsme d’épopée. Peu de pays furent plus grands que ce petit royaume d’Ecosse, si éloigné pourtant des foyers lumineux de la vieille Europe, si rudement occupé à se défendre. Ses antiques ballades attestent sa culture poétique, et la dynastie des Stuarts brille parmi les lignées royales. Il est très vrai que la féodalité belliqueuse y fut plus âprement divisée qu’ailleurs, surtout parce que la nature même du sol favorisait le régime des clans. Longtemps ce pays ne connut d’autre organisation que celle des bandes armées. Un jour vint pour lui, comme pour les autres, et à peu près vers le même temps, où l’esprit centralisateur des monarchies modernes y affirma la notion de l’Etat. Nul doute qu’elle ne s’identifiât trop étroitement à la personne du souverain. Et le souverain se trouva être une souveraine, jeune princesse élevée à la cour de France entre les Valois et les Guises. Elle parut chez elle comme une étrangère, despotique et fantasque. Les courages s’enflammèrent autour de sa beauté, tandis que les rivalités s’exaltaient autour de sa faiblesse. Ce fut, dans le triomphe des passions, un déchaînement d’orage. Une seule idée, dominant ce chaos, brillait de sa fixe lumière : l’idée religieuse. Knox y alluma le sentiment national ; il identifia la réforme avec la liberté et l’indépendance écossaises. Le génie de l’Ecosse entra dans la voie que lui frayaient la rude éloquence du prophète et son indomptable énergie.

Ce n’est pas grandir un homme que de mutiler autour de lui la beauté de l’histoire. La figure de Knox m’apparut plus vivante et plus vraie, quand je la vis se détacher du fond mouvant de son siècle, telle que la projeta la force du destin. Ne disons pas qu’il a donné une âme à l’Ecosse ; l’Ecosse plutôt lui prêta son âme, et cette incarnation en fit un héros. L’âpre théologie qui anime les controverses d’un Calvin et soutient sa dogmatique raisonneuse s’efface ici devant les réalités de l’action. Carlyle appelle le protestantisme allemand « un glapissement d’argumentation théologique, » et il insiste avec son insolente rudesse : « C’est une contention sceptique, laquelle en vérité a glapi de plus en plus, en descendant jusqu’au voltairianisme lui-même, à travers les contentions de Gustave-Adolphe jusqu’à celles de la