Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le charme le captiva si fort qu’il en oublia de dîner. Toute la contrée s’appelle aujourd’hui la terre de Scott, Land of Scott, comme il y a, au sud de Glasgow, dans les comtés d’Ayr et de Lanark, la terre de Burns, Land of Burns. Oh ! le fidèle pays ! Il honore ses poètes au point de leur consacrer la région qu’ils ennoblirent en respirant son air et qui semble aujourd’hui leur devoir le plus pur de son charme, parce qu’ils en reçurent jadis le meilleur de leur génie.

C’est bien ici, en effet, l’Écosse de Walter Scott, la romantique Écosse des eaux fraîches, des vallées vertes, des collines boisées et des belles ruines. Elle demeure à jamais vivante pour nos âmes dans l’œuvre de l’écrivain national et semble se faire visible à nos yeux par l’évocation enchantée qu’il appelait son roman de pierre. Abbotsford est une de ses œuvres et, je crois bien, son œuvre préférée. N’y cherchons point la logique d’un plan préconçu. Cette harmonie confuse des pavillons, corps de logis, pignons dentelés, flèches, pinacles, balcons et tourelles, trahit une inspiration plus libre. Le baronet a bâti sa maison comme il contait ses histoires, avec la même fantaisie et le même amour. Il en a pris les matériaux dans les ruines du passé, et, dociles à son appel, ils viennent s’ordonner en de nouvelles combi- naisons. Les murailles de la maison et celles du jardin sont faites de vieilles pierres sculptées provenant de toutes les parties de l’Écosse. La porte du vieux Tolbooth d’Edimbourg a trouvé place à l’extrémité Ouest, où elle ouvre dans une cour. A. l’autre bout, façade Est, les visiteurs entrent par un portail copié du palais de Linlithgow. Les panneaux de chêne sculpté qui revêtent les murailles du vestibule viennent du palais de Dunfermline, ainsi que le plafond. Les détails d’architecture sont copiés de Melrose et de Roslin. Tout autour de la corniche sont les armoiries des Douglas, des Scotts, des Kers, des Armstrongs et autres grands clans de la Frontière qui, comme le rappelle une inscription en style archaïque, « gardèrent les marches d’Écosse dans le vieux temps pour le roy. » Partout une profusion d’armes, de cors de chasse, de cornes de cerf. C’est un sanctuaire du passé, où l’âme de W. Scott respirait à l’aise, comme celle du moine fervent dans le sanctuaire de Dieu. Il y voulut mourir, et, quand on le rapporta malade, irrémédiablement frappé, la lueur vacillante de sa pensée n’éclairait plus qu’une idée fixe : « Je sais maintenant que je suis à Abbotsford. » C’est pour sauver la chère demeure