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Guild Hall qui semble un chalet de pierre emprisonnant un clocher d’église. Et j’aurais voulu vivre quelques jours, veiller quelques soirs, dormir quelques nuits dans cette ville où l’Histoire se révèle aux yeux et semble inviter le voyageur à s’arrêter pour la comprendre et pour l’aimer.

Mais je ne suis qu’un passant et je dois continuer ma route. Nous allons vers la colline qui regarde le rocher de Stirling et sert de piédestal au monument en l’honneur de Wallace. La chaleur du jour était tombée. Nous suivions une route poudreuse, bordée de prairies et de maisonnettes. Nous voici sur le bord de la rivière de Forth, que traverse un vieux pont en dos d’âne avec une pyramide pointue à chacun de ses quatre angles. Des pierres s’entassent à la base des piliers et font des parterres ruinés d’où grimpe le lierre qui tapisse les arches. Un peu plus loin, un beau pont de fer a été construit pour les besoins nouveaux. Mais on n’a eu garde de démolir celui qui si longtemps suffit aux ancêtres et mire aujourd’hui dans l’eau sombre son image ennoblie par le temps. Devant nous, le long tertre boisé où se dresse la tour. À mesure que nous approchons, nous voyons mieux son architecture hardie, qui déchire l’air du soir de ses aiguilles de pierre. Etrange comme le défi d’un burgrave et triomphale comme une évocation de la légende wagnérienne, elle hausse son témoignage épique d’héroïsme et de victoire dans une apothéose de grandeur militaire et de religieuse noblesse. À l’un des angles, s’ajoure la cage étroite d’un escalier de pierre. À l’autre, regardant la plaine, et face à la statue de Robert Bruce qui de l’autre côté de la vallée se dresse dans la cour de Stirling, une immense effigie du héros se détache de l’arête vive. Debout sur un socle en saillie, il tient haute et droite son épée qui commande et protège. Sa main gauche repose sur un bouclier dont la pointe est appuyée à terre ; il est gainé des mailles de fer de son armure et le manteau noué sur la poitrine et rejeté en arrière découvre un sayon léger pressé d’une ceinture de cuir. Le casque sans cimier et sans visière donne une physionomie romaine au visage de ce royal soldat. Mais, au-dessus de sa tête, à demi engagée dans l’anfractuosité d’une ogive dont le sommet surplombe, la haute couronne d’Ecosse repose à l’abri du glaive. Je ne crois pas qu’on puisse exprimer plus d’amour, d’admiration et de piété que dans ce monument jailli du sol en regard de la forteresse illustre et ce face à face des deux guerriers séparés par le champ de bataille où leur