Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par des courroies qui lui prennent les épaules. Ses deux bras agitent frénétiquement les marteaux, qui s’élèvent, retombent, bondissent, tournoient en moulinets au-dessus de sa tête, dans le délire d’une maestria furieuse rythmée par leurs coups sourds.

Selon l’usage de l’Eglise presbytérienne, il y eut lecture de la Bible, cantiques, prières et sermon. Mais je n’eus point un seul instant, dans cette nef grandiose où les vitraux agitent de mobiles lueurs, l’impression de froideur laïque et rationnelle que donne le prêche protestant entre les murailles nues des temples sans mystère. Ici, l’ombre est religieuse. Des siècles de catholicisme ont divinisé le silence de ces voûtes et leur demi-jour inondé de rayons. Aussi, lorsque dans le chant des soldats monta l’hymne de vaillance et de foi soutenue par l’harmonie des cuivres qui retombait à chaque strophe sur un roulement de tambours, je sentis toute la beauté de ce présent qui ne fait que continuer le passé, et lui emprunter ses décors, comme, dans les beaux sites que le touriste admire, les ruines mêlent l’histoire morte à la nature vivante. Il faut bien admettre, puisqu’elle est un fait, cette harmonie où l’Ecosse d’aujourd’hui a réconcilié tant de contradictions. Ce peuple de puritains semble avoir oublié l’hostilité de Marie-Stuart et de Knox ; ces âmes moralisantes ne s’offusquent point des voluptés qu’exhale une vie trop amoureuse ; ces sages esprits politiques ne sont point gênés dans leur loyalisme. Leur amour de la reine Marie ne détourne pas leurs hommages du trône d’Elisabeth. C’est que, là-bas, les puissances du présent aiment mieux hériter du passé que l’insulter ou le maudire. Elles l’honorent, parce que tout ce qui est vient de lui et que le travail accumulé des siècles est le seul capital de la famille humaine ; elles le chérissent, parce qu’il est l’effort endormi des aïeux ; elles composent avec lui, parce qu’elles savent que « l’humanité compte plus de morts que de vivans. » La sagesse anglaise a compris un sentiment qu’elle partage : elle s’est bien gardé de heurter la tradition nationale de la patrie vaincue. On sait bien, dans les deux royaumes unis, qu’il n’est point nécessaire, pour marcher d’un pas assuré, de se croire nés d’hier et qu’une nation s’y prend mal à renier son histoire pour continuer sa vie. Les générations présentes puisent une force singulière dans le sentiment qu’elles vivent et travaillent depuis si longtemps, que tant de destinées ont préparé la leur, et le passé offre un point d’appui solide au levier avec lequel de telles volontés espèrent soulever l’avenir.