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IMPRESSIONS D’ÉCOSSE


I

Mon arrivée en Écosse fut une déception. Je n’étais pas venu par l’Angleterre, et c’est à Leith, le port enfumé d’Edimbourg, que je mis le pied dans la contrée des lacs, des bruyères et des ruines. Le steamer nous débarqua sur une jetée de bois où rôdaient des portefaix ivres. C’étaient de jeunes garçons ou des vieillards : je ne vis que leur air misérable et leurs yeux aux paupières rouges, sans cils, brûlées d’alcool. Ils traînèrent nos bagages à travers la ville, jusqu’à la gare. Par cette belle journée d’été, il n’y a dans les rues ni joie, ni lumière. Cette activité en travail ne donne point l’impression d’une ruche bourdonnante au soleil, mais d’un atelier taciturne. Des bâtisses noires m’évoquent la sombre prospérité des civilisations industrielles et l’esprit organisateur de la société anglo-saxonne : ce sont des usines, des docks et des maisons corporatives. Sur le quai de la gare, j’ai une impression d’étouffement et d’exil. Les rails commencent là, au pied d’une muraille charbonneuse. Ils s’allongent dans une banlieue salie. Le regard cherche en vain cet horizon de mystère qui ouvre au rêve, bien loin de la brutale réalité des embarcadères, une échappée dans le poétique inconnu des départs. L’homme, ici, est captif de son labeur, serf de cette glèbe nouvelle, asservie elle-même au réseau de fer, au poids des machines, souillée, défigurée. Tendu dans l’effort, tout à l’âpreté de sa tâche quotidienne, il n’a plus pour ses semblables ce regard où le loisir éveille une curiosité et la douceur de vivre une sympathie. On est indifférent et brutal. Nos bagages gisent sur le trottoir. Selon l’usage britannique, ils ne sont pas enregistrés. Ce pays de l’initiative et de la liberté laisse chacun veiller sur soi, prévoir et