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on les renforce, au contraire... Quant à nous, nous n’aurions qu’à nous retirer dans le port aussitôt la guerre déclarée, et alors que garderions-nous, beaux gardes-côtes que nous sommes ? Nos précieuses carcasses ? ... Ce n’est point assez.

— Tout beau ! riposte le sage R..., laissez le budget se remettre d’une alarme si chaude (car vous supposez bien que nos manœuvres ont coûté cher...), et peut-être nous rendra-t-on nos effectifs...

— Je n’en crois rien. La Chine absorbera tout.

— Laissez donc faire les événemens et aussi ceux qui ont la charge de nous conduire. Croyez qu’ayant en main des balances plus justes que les nôtres, ils pèsent mieux le pour et le contre ; et enfin, mon cher ami, sachez goûter la douceur d’obéir sans comprendre.

— Admirable ! Gerson, A Kempis !... Mais c’est de l’Imitation toute pure ce que vous nous donnez là ! Malheureusement cette résignation n’est plus de notre temps...

— On pourrait discuter là-dessus. Mais appelez-la stoïcisme ; elle vous agréera peut-être mieux sous ce nom, encore que ce ne soit pas tout à fait la même chose...

— Tant y a qu’il ne s’agit pour nous que de faire marcher ici le petit commerce, je vois cela clairement, et vous aussi.

— Mon Dieu, quand cela irait avec le reste et que le souci d’un intérêt particulier se confondît avec celui des intérêts généraux, croyez-vous qu’il n’en a pas toujours été ainsi ? Et êtes-vous donc si téméraire que de prétendre faire le départ exact des prétextes et des raisons ? ...

— Oh ! oh ! ce n’est pas « stoïcisme » que vous vouliez dire tout à l’heure : c’est plutôt « scepticisme, » mon bon ami...

— Mais non, mais non ; je vous...

— Capitaine, dans un quart d’heure on armera le canot-major ! » crie le timonier de service, ouvrant et refermant brusquement la porte du carré, et nos deux galans de se précipiter dans leurs chambres pour s’habiller en civil.

La discussion est finie. Il est sans exemple qu’une discussion tienne contre le canot-major. Et c’est fort heureux.


21 juillet.

« Ordre d’armée n°.... Cherbourg, le 20 juillet 1900. En exécution des ordres de M. le Ministre de la Marine, le pavillon