Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais pourquoi, sur les deux rives du Goulet, cet énorme et attristant appareil militaire ? ... Pourquoi toutes ces taches jaunes de terres remuées qui gâtent la verdure des pentes, pourquoi tous ces baraquemens, tous ces talus de batterie qui brisent de leurs arêtes géométriques les lignes molles, ondoyantes des vallons ombreux ? ... Ne pourrions-nous nous défendre à moins de frais de laideur ? ... Non, sans doute. Il faut que tout ici se hérisse de canons et de canons que l’on voie bien : ni la flotte ne compte, ni les gardes-côtes ne sauraient servir à rien, ni les torpilleurs torpiller qui que ce soit. On n’a confiance que dans les grosses pièces de l’artillerie de terre, et on en mettra tant qu’il en peut aller. Quant à la dépense, la dépense pour cette défensive pure, cette défensive immobile !... Hé ! bonnes gens !... vous verrez bien où elle va.


10 juillet. — A Brest.

Hier, donc, à 12 h. 04 exactement, toutes les ancres sont tombées, et cela fit, dit-on, l’admiration des Brestois rangés sur le Cours. Malheureusement ces Brestois étaient en petit nombre. L’armée navale n’étant annoncée que pour 2 heures de l’après-midi, on pensait avoir le temps de déjeuner. Vous voyez l’événement !...

Il y a eu, paraît-il, de vraies fureurs, dont la presse locale s’est faite discrètement l’écho. Cette explosion nous amuse et nous étonne : s’agissait-il donc d’un spectacle payé, et les mouvemens des escadres se doivent-ils régler désormais sur les convenances du public ?

Non... Mais c’est qu’on aime tant, ici, la marine et les marins ! Les uns, — ou plutôt les unes, — d’un amour tendre ; les autres d’un amour tempéré, raisonnable ; mais d’aucuns d’un amour sévère, exclusif, autoritaire, qui n’entend point plaisanterie : « Qu’est-ce que ça signifie de tromper son monde comme ça, d’arriver sans tambours ni trompettes, — mais avec canon pourtant, — de frustrer les vieux loups de mer du Cours d’Ajot du plaisir vif de juger les manœuvres et de départir sans appel le blâme ou la louange ? ... »

Oui, on aime vraiment la marine, et, pour tout dire, Brest, c’est la marine même. A Toulon, nous sommes chez les Toulonnais ; à Cherbourg, nous campons tout proche des Cherbourgeois ; à Brest, nous sommes chez nous, bel et bien chez nous. Et aussi