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Peu de temps après, entre deux grains de pluie fine, on reconnaît le Pothuau et ses croiseurs cuirassés auxquels se sont joints le Bruix d’abord, puis le Dupuy-de-Lôme, à la silhouette caractéristique. La jonction est faite par les éclaireurs : les deux cavaleries fraternisent.

La pluie continue, et c’est dommage, car derrière ce rideau flottant on devine les cuirassés.

Vers 9 heures, une éclaircie, un fugitif rayon... Les voici ! Ils viennent du Nord-Est, de notre droite, et c’est encore dommage, parce que leur poste est à notre gauche et que le rassemblement va être laborieux.

Si encore le soleil se décidait franchement ! ... Mais non ; la buée grise enveloppe tout. Quel ennui ! ... On s’était tant promis un beau spectacle ! ...

Une détonation lointaine, bien faible : c’est le salut du Masséna qui commence, le salut du commandant de l’escadre du Nord au commandant en chef, quinze coups de canon. Le Bouvet répond par onze coups ; et pendant cette tirerie les six cuirassés du Nord, Masséna, Carnot, Amiral-Baudin, Formidable, Amiral-Duperré et Redoutable, défilent sur notre front à bonne distance, de la droite à la gauche, tandis que les croiseurs cuirassés courent de la gauche à la droite, les croiseurs légers du Sud au Nord, les répétiteurs, les estafettes entre les lignes, affaires, rapides...

C’est, un moment, une confusion qui semble inextricable ; puis, tout à coup, on s’aperçoit que, chacun ayant pris son poste aussi vite que le permettent les vitesses de route adoptées, l’armée est parfaitement formée en quatre colonnes, avec une avant-garde, une arrière-garde et des unités de liaison.


Le soir, évolutions d’armée, gênées par la brume. Il y a à peu près juste quatre-vingt-quinze ans, en juillet 1803, dans les mêmes parages, par une brume plus épaisse encore, les 20 vaisseaux de Villeneuve rencontrèrent les 15 vaisseaux de Calder, qui étaient chargés de les repousser loin des côtes d’Europe. L’amiral anglais fut assez heureux pour enlever 2 vaisseaux espagnols à son adversaire, mais son escadre subit de telles avaries qu’elle céda le champ de bataille et remonta vers le Nord, laissant Villeneuve rentrer au Ferrol, s’y renforcer, s’y ravitailler. C’était pour ce dernier une victoire stratégique, tandis que Calder se flattait ingénuement d’un succès tactique auquel l’Amirauté, plus sagace,