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Marin, heu ! … plutôt moins ; soldat, plutôt davantage. Marin par le costume, par l’habitude de l’existence à bord ; soldat par l’instruction, très poussée en infanterie, par un certain air de caserne, un certain pli de discipline et de correction automatique dont se gaussent volontiers les vrais « mathurins, » les canonniers, les timoniers, les gabiers surtout. Ceux-ci, comme militaires, sont, je vous prie de le croire, d’un dessin beaucoup plus « . flou. » Ils ont, mettons qu’ils avaient, une dent contre les fusiliers, qui font à bord le service des gardes, des factions, de la police… Des gendarmes, quoi !

Mais les fusiliers dont je parle là sont les fusiliers brevetés, — soldats de 1re  classe, — ceux qui deviennent « caporaux d’armes, » « sergens d’armes, » « capitaines d’armes » (oh ! les bonnes vieilles dénominations et que l’on a eu bien tort de supprimer ! ).

Le fusilier auxiliaire, lui, n’a pas réussi à se faire breveter en quittant le bataillon des apprentis fusiliers de Lorient. Il n’avancera pas, il sera « simple homme » tant qu’il restera au service, à moins que, changeant de spécialité, il n’essaie du métier de chauffeur, qui offre un excellent débouché à tous les braves garçons dont l’instruction n’est pas à la hauteur de la bonne volonté, de l’aptitude physique, de l’endurance.

Ce serait bien le cas de mon Eveno,


Au demeurant le meilleur fils du monde,


mais dont la cervelle n’assemble qu’un nombre restreint d’idées. La chauffe ne lui répugnerait pas autrement : double ration de vin, supplément journalier de 50 centimes, le droit d’être sale six jours sur sept. Voilà des avantages ! Pourtant, on y a bien chaud, dans ces chaufferies, et, comme Eveno a trouvé un « poste, » il n’est point pressé. « L’homme de poste, » chez nous, c’est à peu près « l’embusqué » de l’armée. Le nôtre a beau n’être pas exempt du service ordinaire, il n’en recueille pas moins quelques menues faveurs : d’abord il a plus d’eau douce que les autres à la distribution, — il en prend toujours un peu de celle de son officier, — et c’est une grosse affaire à la mer, pour laver son linge. Ensuite il a bien, grâce à son « poste, » grâce à la chambre de son officier, un abri tutélaire contre les poursuites du caporal d’armes, quelques petits recoins, quelques sûres cachettes pour ses effets, son savon, son « fourbissage. »…