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d’heure en heure par leurs servans, à la culasse de leurs canons, les appareils de pointage nocturne prêts à fonctionner... Et ça va être, toute la nuit, l’attente énervante...

Vers 11 heures du soir, une communication nous vient d’Oran. L’escadre est aux prises, au large, avec les torpilleurs. En effet, on a entendu de lointaines détonations. On cherche à voir. Rien...

Tout retombe dans le silence.


4 heures du matin. Une ligne grisâtre au delà de Canastel, vers le cap de l’Aiguille ; c’est l’aube, assez embrouillée de brumes, comme avant-hier. La ligne s’étend, la lueur pâle gagne dans le ciel, et alors, tout près de l’horizon, on aperçoit comme des traînées noirâtres : ce sont les fumées des vaisseaux. Dans une demi-heure l’attaque commencera. Réveil général, branle-bas de combat ; les grosses tourelles se mettent en mouvement pour s’essayer, lourdement, pesamment ; leurs 305, leurs 340 ne tireront d’ailleurs que des étoupilles, et ce sera mince pour ce gros effort, tandis que les canons de 100 brûleront des cartouches à blanc.

Voilà l’escadre, voilà les mâtures, les coques. Deux grands groupes : les cuirassés qui viennent tout droit du Nord, sur Canastel, les croiseurs qui poussent un peu vers l’Ouest, chassant devant eux les torpilleurs battus et bientôt coupés d’Oran, s’ils n’y prennent garde...

Canastel ouvre le feu, un peu tôt, nous semble-t-il. L’escadre est-elle réellement dans son champ de tir ? En tout cas, elle s’est placée dans le secteur de la défense le plus faible en artillerie et elle doit prendre d’écharpe cette première batterie. La voici qui oblique sur le centre de la position par un mouvement « tous à la fois » mathématiquement exécuté. Ce serait notre tour d’« écoper », s’il y avait des projectiles dans ces formidables pièces dont nous percevons, à 4 000 ou 5 000 mètres, les grondemens assourdis. Ripostons, par conséquent. Tout près de nous, les ouvrages les plus rapprochés d’Oran commencent le feu. Sur la crête du plateau Nord-Est, au delà du cap Blanc, presque englobé aujourd’hui dans la ville, une batterie de campagne s’installe et tire sur les superstructures des cuirassés.

Deuxième mouvement « tous à la fois. » Les voici un peu plus près, ces cuirassés, et un peu plus à l’Ouest. Maintenant les feux couvrent la terre et la mer ; éclairs, tonnerres, toute la lyre.