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Et les couples silencieux,
Au fond du grand bois monotone,
Ferment tout doucement les yeux
Pour écouter mourir l’automne.


CHANT D’AUTOMNE


Nous n’aurons plus beaucoup de beaux jours cette année.
Les arbres presque nus frissonnent sous les cieux.
La rose qui restait au jardin s’est fanée ;
Et l’automne décroît lentement dans tes yeux.

Et le charme attristé de l’heure qui décline
Au fond de tous les cœurs verse un trouble secret,
Et toute âme est un peu ce soir comme orpheline,
Et chaque souvenir se teinte d’un regret.

Qu’importe ? Ces beaux jours transparens et paisibles
Ont d’autant plus de prix qu’ils sont plus passagers.
Et nous-mêmes, plus las, plus frileux, plus sensibles.
Nous percevrons ce soir des frissons plus légers.

Aussi profilons bien de cette fin d’automne,
Qui, par sa grâce intime et son recueillement,
Convient à notre amour éphémère et lui donne
Je ne sais quoi de doux et triste exquisement.

Songeons que le jour fuit, songeons que l’heure est brève.
Ecoutons en tremblant l’automne s’éloigner.
Chaque instant qui s’envole emporte un peu de rêve.
Chaque serment d’amour peut être le dernier,

Mais, si déjà l’hiver frissonne dans l’espace,
Si, ce soir, le parfum des fleurs doit s’épuiser,
Pour préciser au moins la minute qui passe
Unissons nos deux cœurs en un dernier baiser.

Fixons à tout jamais cette heure enchanteresse,
Cette heure grave et lente, impossible à saisir,
Où l’automne qui meurt prête à notre tendresse
La subtile douceur de ce qui va mourir.