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REVUE DES DEUX MONDES.

Perse, le Chili. Seul, pour correspondre avec la métiance prudente des puissances, le représentant de Jules Favre, le comte de Chaudordy. Mais ambassadeurs, chargés d’affaires, attachés de légation, n’étaient là que surveillans, disposés bien moins à intervenir favorablement qu’à juger à l’œuvre le gouvernement nouveau. L’Europe, le monde civilisé, suivaient, de tous ces regards attentifs, les convulsions de la France.

Les Réal et Poncet s’éloignaient à petits pas. Le Sorcier reprit :

— Nous avions besoin d’un coup de fouet. Au diable les élections ! Pas de discours, des actes ! Si vous aviez vu Gambetta passer au milieu des cris, des vivats, des questions… Il n’a répondu que par ces mots : Toute l’armée de la Loire sur Paris !

— C’est le cas de dire qu’il tombe du ciel, fit Gustave Réal, avec cette bonhomie dont on ne savait jamais si elle raillait ou non.

Poncet, convaincu, donnait des détails. Gambetta était audacieusement parti de Paris avec Spuller, le vendredi matin, dans la nacelle de l’Armand-Barbès ; au-dessous pendait une flamme tricolore. Le ballon avait essuyé le feu des avant-postes prussiens ; à hauteur de Créteil, une balle effleurait la main du voyageur. Près de Montdidier, l’aérostat manquant de lest restait accroché à un chêne : des paysans accourus aidaient à la descente. Gambetta gagnait Amiens, le Mans, jetant sur sa route de vibrantes exhortations.

— Au fait, Gustave, il a passé par chez vous, continua Poncet, mais vous aviez déjà quitté Rouen.

Et affectueusement :

— Eh bien ! qu’est-ce que vous comptez faire, affreux bonapartiste ?

Médecin estimé, connu par son Traité des fractures, Gustave Réal était de ces célibataires invétérés que le spectacle de la souffrance ne parvient pas à blaser ; malgré ses quarante-neuf ans, il cachait un cœur tendre sous une réserve moqueuse. Il répondit :

— On se battra dans le Nord ; il n’y aura que trop d’ambulances à diriger.

Charles l’approuva ; lui-même, ingénieur jouissant d’une situation faite, père de famille aux cheveux grisonnans, il comptait bien, malgré son manque de foi républicaine, offrir au pays ses services.