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travaillée elle-même de fermens révolutionnaires ; la poussée de l’Internationale ; la province mal résignée à recevoir la loi d’un gouvernement où elle n’était pas représentée ; hier, aujourd’hui, demain, bouillonnant dans le vaste creuset de l’heure trouble ; la masse du pays hostile à se défendre ; les enrichis d’hier, les campagnes souhaitant plus encore que les villes la fin de ce cauchemar.

La France se cherchait et ne se retrouvait pas. Elle était étourdie de son essor rapide, cramponnée à la jouissance du sol fructueux, de cette terre où l’or venait de circuler par mille voies nouvelles, les chemins de fer, les chemins vicinaux, tout un réseau artériel et veineux. Privée de son cœur, ce Paris de qui elle était accoutumée de recevoir le sang vivace, l’impulsion des idées, la province se désagrégeait en ligues diverses, en efforts tumultueux et vains. Lyon, Marseille revendiquaient leurs franchises communales, s’isolaient dans une agitation séparatiste. Sous la présidence militaire de Trochu, les ministres restaient stérilement enfermés derrière les murs de la capitale. Au lieu des titulaires des Finances, de la Guerre, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, dont l’action eût été indispensable, le gouvernement n’avait délégué pour le représenter que Crémieux, Glais-Bizoin et l’amiral Fourichon, trois vieillards. À peine s’installaient-ils, que la notification de l’entrevue de Ferrières venait comme un coup de massue anéantir tout espoir de paix immédiate. Jules Favre, le 19 septembre, était allé implorer l’humanité de Bismarck. Il réclamait un armistice qui permît à la nation de convoquer l’Assemblée, au gouvernement de déposer un pouvoir dont les responsabilités étaient lourdes. La Prusse, en échange, demandait la cession des départemens du Haut et du Bas-Rhin, une partie de celui de la Moselle avec Metz et Château-Salins. Devant ces conditions inacceptables, le gouvernement renonçait aux élections, jurait de nouveau de ne céder jamais « ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses. »

Le rôle de la Délégation était tracé : plus d’élections ! Or, de sa propre autorité, elle les reportait au 10 octobre, quand seule la guerre devait absorber toutes les pensées. À quoi bon délibérer sous le canon ennemi ? La guerre, rien que la guerre ! Ce n’était pas trop que l’activité la plus sagace, l’union la plus complète.

Malheureusement, des trois délégués, le premier arrivé, Cré-