Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à me faire. Chargé de l’organisation civile et militaire, j’ai senti tout le poids de ma mission ; je sais combien ma tâche est pénible. J’avais tout préparé pour répondre pleinement à la confiance du Directoire ; j’ai communiqué mon projet aux Irlandais[1] que j’ai à mon bord, ils me promettaient un succès complet. Peut-être mes précurseurs ont-ils déjà tout mis sens dessus dessous et faudra-t-il que je recommence sur de nouveaux frais. Je ne perds cependant pas l’espérance ; il m’en coûtera sans doute plus de peine, il me faudra déployer plus d’énergie et faire des exemples ; j’en ai la force, j’en aurai le courage.


A Bruix.


12 fructidor (29 août).

J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 9, pour m’informer que le Directoire a suspendu notre départ jusqu’au moment où la division navale pourra passer sans danger. Nous obéirons. Citoyen Ministre, mais avec chagrin.

Je regrette que vous n’ayez pas approuvé mon projet.

On dit que le Directoire a permis l’armement en course à quiconque se chargerait de transporter une compagnie en Irlande. Cette proposition n’a pu être faite au Gouvernement que par ses ennemis ; car que deviendraient nos troupes isolées, en débarquant en Irlande ? Des brigands, qui porteraient indistinctement la désolation chez les royalistes et les patriotes, et il est aisé de prévoir comment nous serions reçus, après eux, par les insulaires.

Je vous remercie des vœux que vous formez pour le succès de notre expédition ; il dépend beaucoup des troupes qui sont arrivées les premières. Si donc Humbert vous a informé de son débarquement, je vous conjure, Citoyen Ministre, de lui tracer d’une manière bien positive le cercle dans lequel il doit se circonscrire. Il est brave (personne ne peut lui contester cette qualité) ; mais, dans les circonstances présentes, le courage ne suffit pas.

Au moment de l’embarquement, j’ai fait donner un à-compte aux troupes sur les fonds mis à ma disposition. Non seulement cette somme ne m’est pas encore rendue, mais le payeur ne sait même pas où puiser de quoi solder quinze jours à l’armée expéditionnaire. Cependant on a promis hautement aux soldats de leur payer trois mois d’avance, et ils y comptent toujours. La

  1. Un des chefs du mouvement insurrectionnel irlandais, Wolfe-Tone, était attaché au général Hardy comme adjudant-général sous le nom de Smith.