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P. S. — Dans le cas où vous approuveriez mon projet et où vous ne voudriez pas détacher Bompard de sa division pour lui donner le commandement de la flottille, je vous recommande son second, Maistral, capitaine de frégate.


4 fructidor (21 août).

Depuis quelques jours, un calme profond régnait dans nos parages ; à peine les flammes des bâtimens mouillés dans la rade nous indiquaient-elles positivement quel semblant de vent nous avions. Hier, vers la brune, nous eûmes un bon frais ; Bompard, cédant à son impatience et à la nôtre, et voulant enfin exécuter les ordres du Gouvernement, donna l’ordre à la division d’appareiller. A notre sortie du Goulet, tout semblait nous favoriser ; le temps s’obscurcit, la lune disparut, la brise devint plus forte. Nous filions 8 et 9 nœuds ; nous aurions certainement traversé la ligne ennemie, bien qu’elle fût de quarante-deux voiles, et nous nous serions trouvés, au matin, avec notre vaisseau et les huit frégates, à 35 lieues de terre, si un événement malheureux ne nous eût arrêtés. A hauteur de la pointe Saint-Mathieu, deux de nos frégates, la Fraternité et la Bellone[1], s’abordèrent et se firent mutuellement des avaries. Les marins vous en rendront un compte détaillé.

Cet accident arriva sous nos yeux ; l’ennemi, que nous frisions alors, s’en aperçut ; il tira un coup de canon, lança force fusées et multiplia ses signaux pour avertir l’escadre, qui ne tarda pas à répondre. Bompard, voyant son projet découvert, crut qu’il était prudent de virer de bord. Le reste de la nuit fut employé à regagner la rade, où nous rentrâmes au point du jour, après avoir fait cinq lieues marines.

C’est grand dommage que nous ayons eu cet accident ; le coup était audacieux. Il aurait redoublé l’énergie de nos marins, déconcerté les Anglais, et nous aurait fait grand honneur ; il nous

  1.  » Notre frégate la Bellone fut abordée par la frégate la Fraternité, que la trop grande obscurité de la nuit avait empêchée de nous voir et de nous éviter. Les deux vaisseaux, accrochés par leurs manœuvres, se heurtaient avec fracas ; la mer était grosse et nous filions 7 nœuds (2 lieues et demie) à l’heure. Le choc fit tomber à l’eau un matelot de la Bellone. Le maître d’équipage Calwess sauta dans la mer pour le secourir ; il le saisit par les cheveux et le ramena à bord. Puis, sans vouloir changer ses vêtemens mouillés, tremblant de froid, Calwess courut à son poste, grimpa, comme un écureuil, de cordage en cordage, encouragea les matelots, rajusta lui-même les manœuvres rompues et ne pensa à lui que quelques heures plus tard, quand l’ordre fut rétabli, le calme revenu, et que les deux frégates, enfin séparées, eurent repris tranquillement leur marche. » Rapport au général Hardy du chef d’escadron Langlois, embarqué sur la Bellone.