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de nos ministres. Au contraire, Li-Hung-Chang n’y peut rien. S’il était à Pékin, peut-être n’y serait-il pas lui-même en parfaite sécurité. Une l’y aurait certainement pas été d’une manière constante depuis deux mois. Tout récemment encore, l’Impératrice a fait décapiter deux membres du Tsong-li-Yamen, parce qu’ils étaient suspects de tendances favorables à la civilisation occidentale, et cette nouvelle a, paraît-il, produit une forte impression sur Li-Hung-Chang. Il est dangereux de placer les gens dans l’alternative d’être décapités par les uns ou fusillés par les autres ; en pareil cas, le danger le plus rapproché agit sur eux le plus fortement. D’autres moyens, et de plus sérieux, seront nécessaires en présence des difficultés présentes. Les indiquer n’est pas notre rôle : nous nous bornons à exposer aussi clairement que possible, tous les quinze jours, la situation du moment.


Une véritable révolution s’est produite à Belgrade, sous la forme la plus imprévue et, en somme, la plus douce : le jeune roi Alexandre s’est marié. Il était amoureux, il a épousé la femme qu’il aimait, sans demander la permission de personne. Après tout, il était libre de le faire, non seulement parce qu’il est roi, mais parce que ni son père, ni sa mère, ne lui avaient donné le spectacle d’une de ces unions qui sont un exemple ; il a pu assez légitimement se dispenser de chercher auprès d’eux une inspiration et un conseil. Non pas que nous confondions, au point de vue moral, la très digne et très respectable reine Nathalie avec le roi Milan ; mais enfin la fausseté de sa situation a pesé sur elle, et on comprend que le roi Alexandre ait fini, au milieu de ces querelles domestiques, par éprouver une lassitude où sa confiance a sombré. S’il en a souffert, la Serbie l’a fait encore bien davantage : le roi Milan n’a pas été précisément son bon génie. Et ce n’est pas l’intelligence qui lui a manqué, mais bien d’autres quahtés à l’absence desquelles l’intelhgence ne supplée pas. Malgré tout, il était resté le véritable maître de la Serbie. Si son fils régnait nominalement sur elle, il régnait despotiquement sur lui. Il s’était fait nommer généralissime de l’armée serbe, et, quoiqu’il ne l’eût pas autrefois conduite à la gloire, il avait acquis sur elle un grand ascendant, tlela lui inspirait une sécurité qui s’est trouvée trompeuse. Les absens ont tort, dit le proverbe : c’est pendant que Milan n’y était pas, — il était tranquillement aux eaux de Carlsbad, — qu’Alexandre s’est marié. Il a épousé une ancienne dame d’honneur de sa mère, plus âgée que lui d’une douzaine d’années : il est vrai qu’il est lui-même très jeune, et cela