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croyait avoir dans son fanatisme religieux, et dans les persécutions dont sa secte avait été l’objet, un prétexte à son crime. Il n’en est pas de même de Salson. Ce n’est pas à Mouzaffer-ed-Dine qu’il en voulait, ce n’est pas même au shah de Perse, c’est au souverain quelconque qui passait devant ses yeux. L’anarchiste se propose de tuer une idée, un principe, comme si on tuait les principes et les idées, et si le poignard ou le revolver n’y était pas impuissant. Le roi est mort, vive le roi ! c’est le cri qu’on pousse dans tous les pays monarchiques, et, depuis que les anarchistes multiplient les assassinats, ils n’ont encore réussi à faire aucune révolution, ni grande ni petite, dans aucun pays. S’il était arrivé malheur à Mouzaffer-ed-Dine, un autre shah aurait été proclamé en Perse, et le cours des choses y aurait continué comme auparavant. Mais nous aurions eu un poids très lourd sur la conscience et un immense regret au cœur.


Depuis quelques jours, les Puissances ont enfin reçu des nouvelles directes de leurs ministres en Chine. Ces dépêches ne contiennent encore que des détails sommaires sur le sombre drame qui s’est déroulé à Pékin, et nous n’en aurons sans doute de complets que lorsque nous pourrons causer avec nos ministres autrement que par télégrammes chiffrés. Mais enfin ces ministres vivent, à l’exception du baron de Ketteler, et, au milieu de la crise effroyable qu’il vient de traverser, il ne semble pas que le corps diplomatique ait été particulièrement éprouvé. Cependant nous ne sommes pas encore complètement rassurés. Sans doute, le fait que nos ministres sont sains et saufs est un allégement sensible à l’angoisse que nous avons éprouvée pendant six semaines, sinon davantage. Mais il s’en faut de beaucoup que tout soit terminé, et la situation reste compliquée, obscure, troublante. Le télégramme de M. Pichon pose de la manière la plus claire la première question que les puissances ont à résoudre : est-il indispensable ou non d’aller à Pékin ?

La lecture des journaux donnerait à croire que cette question est tranchée et que la nécessité d’une marche sur Pékin ne fait plus de doute pour personne. D’autres symptômes encore, ou même des manifestations formelles faites par certains gouvernemens, semblent indiquer aussi qu’il y a une résolution prise. Cependant le télégramme de M. Pichon jette un nouveau jour sur l’affaire, et donne à croire, d’abord que le Tsong-li-Yamen espère encore désarmer les puissances en leur rendant leurs ministres intacts, et ensuite que certains gouvernemens seraient peut-être disposés à voir là une solution provisoire-