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Lewisham, tout d'un coup, se sentit pâlir. — Ne me quittez pas encore ! — s'écria-t-il après un silence, et avec une détresse dans, la voix. — Ne me quittez pas ! Restez encore un instant! un petit instant... Vous pourriez... vous pourriez vous perdre en chemin !

Il se tut de nouveau.

— J'ai tant rêvé de vous parler ! — reprit-il. — La première fois que je vous ai vue… D'abord je n'osais pas… Je ne savais pas si vous me laisseriez parler… Et maintenant, à l'instant où commence mon bonheur, vous partez !

— Non, dit-elle alors, en traçant une courbe avec la pointe de son soulier. — Non, je ne partirai pas encore !

Lewisham retint à grand'peine son envie de crier. — Vous voulez bien venir jusqu'à Immering ? — dit-il. Et tandis qu'ils s'avançaient dans l'étroit sentier, à travers l'herbe mouillée, il se mit à lui dire, avec une simple franchise, combien il tenait à sa société. — Je ne voudrais point échanger ce plaisir pour tout l'univers, — disait-il. — Et peu m'importe de manquer mon « service ! » Peu m'importe tout ce qui pourra m'arriver, pourvu que nous ayons à nous cette après-midi !

— Et peu m'importe aussi à moi, — dit-elle.

— Merci d'être venue ! — reprit-il, dans un élan de reconnaissance. — Oh ! merci d'être venue ! — Et il prit la main de la jeune fille et la tint dans la sienne. Ils marchèrent, la main dans la main, jusqu'à l'entrée du village. Leur héroïque résolution de tout sacrifiera cette promenade leur avait donné un sentiment singulier de camaraderie. — Je ne puis pas vous appeler Miss Henderson ! — déclara-t-il — Il faut que vous me disiez votre prénom. — Éthel — Éthel, — dit-il, et il la regardait, et il recueillait son courage en la regardant, — Éthel, c'est un joli nom. Mais aucun nom n'est assez joli pour vous, ma chérie !


À Immering, les deux jemies gens entrent dans la boutique d'une dame qui les appelle « ses enfans » et leur sert, à un prix d'un bon marché tout à fait incroyable, d'excellent thé et des gâteaux excellens. Et ils cueillent des fleurs, et, malgré l'approche du soir, c'est par le chemin le plus long qu'ils reviennent à Whortley. « Ils allaient, pleins de la découverte de leur mutuel amour, et en même temps si pleins de la timidité de l'adolescence que pas une seule fois le mot amour ne leur vint aux lèvres. Mais, à mesure qu'ils causaient, et que le doux crépuscule descendait autour d'eux, leurs discours et leurs cœurs devenaient plus intimes… Quand, enfin, ils arrivèrent aux premières rues de Whortley, les arbres silencieux étaient noirs comme de l'encre, et la lune montrait à découvert son pâle visage, et les yeux d'Éthel brillaient comme des étoiles. Elle portait toujours, dans ses mains, les fleurs et les branches d'arbres qu'il lui favait cueillies. Dans le lointain, la fanfare de Whortley, — qui jouait, ce soir-là, pour la première fois en plein air, — rythmait avec lenteur un air sentimental. — J'aime tant