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vibrante du plaisir qu’elle me doit ! Elle s’inquiète, et, songeant que l’amour n’eût pas trouvé de si ardens panégyristes, s’il ne procurait de plus vives jouissances, elle les demande à un autre. Quoi de plus humiliant pour mon amour-propre ? Quelle blessure plus directe et plus intime ? Quelle injure plus insupportable que celle qui atteint en moi précisément ma vanité de mâle ? Si encore nous étions seuls à connaître l’affront qui nous est fait ! Mais d’autres en seront informés. Ces autres, nous croyons les voir qui se moquent de nous. C’est notre rival, ce sont des amis, ce sont des indiscrets, c’est un public toujours avide d’entendre conter les mésaventures de ce genre, et prêt à s’en égayer. Des yeux sont sur nous dont nous sentons le regard malicieux et hostile. Puisque ces yeux réclament un spectacle, on leur en donnera donc un et qui vaille la peine. Mieux vaut passer pour odieux que pour ridicule. La douleur de l’affront peut disparaître dans les satisfactions du cabotinage.

L’exaspération de l’orgueil est plus fréquente chez l’homme, la jalousie est plus commune chez la femme. La jalousie est généralement tenue pour une preuve d’amour. En fait on constate que la jalousie peut exister sans l’amour. Une femme est jalouse d’un mari qu’elle n’aime pas : un mari punit l’infidélité d’une femme qu’il trompe. Bien plutôt la jalousie est un indice de caractère : elle trouve son aliment dans l’humeur de celui qui l’éprouve, beaucoup plus souvent que dans les actes de celle qui l’inspire. Un jaloux est un maniaque toujours prêt à prendre pour des réalités les chimères que forge son imagination. M. Proal cite l’exemple d’un mari de cinquante-neuf ans qui, jaloux de sa femme, âgée de cinquante et un ans et dont il avait dix enfans, la frappa de quinze coups de poignard, bien qu’elle ne lui eût jamais donné le moindre motif de soupçonner sa conduite. La jalousie est ensuite et surtout un effet de l’égoïsme. Malheureuse avec moi, plutôt qu’heureuse avec un autre ! c’est le mot que nous arrache la jalousie ; et c’est donc que nous n’aimions en autrui que nous-mêmes et notre propre plaisir.

Enfin le crime passionnel dénote toute sorte de traits de caractère, sauf un pourtant, qui est l’énergie. Ceux qui tuent par amour sont ceux qui, à l’occasion, tueraient pour d’autres causes. Il arrive souvent que leur casier judiciaire fût déjà abondamment rempli. Ils sont de tempérament brutal : la colère leur met aussitôt une arme à la main : ils saisissent celle que leur profession tient à leur portée. Il paraît que les cordonniers figurent en belle place sur la liste des crimes passionnels : ce n’est sans doute pas que les cordonniers soient