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plus fameux par leur cruauté l’ont été aussi bien par leur frénésie de jouissance. Le débauché est méchant : une des formes de la débauche consiste justement à aviver le plaisir par le spectacle de la souffrance. C’est ici que les faits recueillis par le juge d’instruction peuvent servir d’utiles renseignemens : « Le désir de la possession est quelquefois si violent, qu’il s’irrite d’un simple retard. J’ai observé, rapporte M. Proal, le cas d’un jeune homme qui a tué sa fiancée parce qu’elle refusait de se donner à lui avant le mariage. La mère de la jeune fille lui ayant fait observer qu’il l’aurait à Pâques, il répondit : « A Pâques, c’est trop tard, je ne puis pas attendre... » L’homme devient féroce pour satisfaire ses désirs sexuels ; il prend le couteau pour frapper la femme qui lui résiste, comme le mâle chez les animaux se sert de ses ongles et de ses dents pour soumettre la femelle à ses désirs ou se venger de sa résistance. » Il est naturel qu’il en soit ainsi : j’entends ‘que cela est dans la nature. Car c’est ici l’obscure région où ne brille aucune lueur d’humanité supérieure. Ce que nous y trouvons, réduites à elles seules et unies ensemble, ce sont ces forces aveugles et brutales disposées par la nature en vue de la conservation de l’espèce : l’instinct du meurtre par lequel l’être se protège contre ce qui lui fait obstacle, l’instinct du sexe par lequel il se reproduit.

Un second élément est l’amour-propre avec toutes ses nuances, depuis l’orgueil jusqu’à la fatuité. Comme nous nous adorons nous-mêmes, nous ne pouvons ni supporter, ni même comprendre qu’on ne rende pas à notre personne le même culte que nous lui décernons. Qu’on nous compare à d’autres et que ce ne soit pas pour nous préférer, voilà une idée qui ne nous entre pas dans l’esprit. Pour ne pas apercevoir cette éclatante supériorité qui est en nous et qui nous distingue du reste de l’univers, il faut donc qu’on le fasse exprès et qu’on y mette de la malice. Nous n’admettons pas qu’il y ait en nous quelque chose qui puisse déplaire, ou, si par malheur nous le découvrons, c’est alors que notre fureur ne connaît plus de bornes. Est-ce bien moi qu’on repousse, moi qu’on dédaigne, moi qu’on trahit ? Je consens à avouer que j’aime, et cet amour que j’offre, au lieu de l’accepter avec des démonstrations de joie et un débordement de reconnaissance, on le refuse, comme si toute la félicité de la terre n’y était pas contenue. Quel outrage et qui mérite bien d’être puni ! Ou c’est après expérience faite qu’on déclare ne pas avoir trouvé dans cet amour toutes les satisfactions annoncées. Une femme que j’ai tenue dans ces bras que voici n’est pas désormais possédée par mon image et pour toujours