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faire dire à son père. L’auguste enfant jeta un indicible regard de défiance sur sa nouvelle gouvernante et sur les Autrichiens qui se trouvaient là ; puis il se retira, triste et silencieux, à l’autre extrémité du salon, dans l’embrasure d’une fenêtre. Meneval l’y suivit. Alors le petit prince, l’attirant tout contre la croisée, lui dit très bas : « — Monsieur Meva, vous lui direz que je l’aime toujours bien. »

A son retour à Paris, Meneval vit souvent l’Empereur. Lui dit-il toute la vérité ? Ni lui ni Napoléon n’en ont rien laissé savoir. L’Empereur ensevelit au fond de son âme le douloureux secret. Il chargea Meneval de rédiger un rapport officiel sur la conduite du cabinet autrichien à l’égard de l’Impératrice et du Prince Impérial. Il comptait, par la publication de ce document, soulever l’opinion de la France et de l’Europe contre la cour de Vienne. Mais le Mémoire, où Meneval s’était naturellement efforcé de présenter Marie-Louise comme une victime sans reproche, ne fut pas rendu public. Pendant que Meneval le rédigeait, l’Empereur avait réfléchi. Il pensa que cette publication n’aurait d’autre résultat que d’enlever tout espoir à ceux qui croyaient encore à l’arrivée, comme gage de paix, du Prince Impérial et de Marie-Louise.

Après la seconde abdication, Napoléon avait demandé à son ancien secrétaire de l’accompagner en exil. Mais Meneval, qui avait quitté la Malmaison pour une nuit, apprit à Paris, le matin, le départ soudain de l’Empereur. Il ne put le rejoindre à Rochefort. Plus tard, il sollicita du gouvernement anglais l’autorisation d’aller partager la captivité de Sainte-Hélène. Toutes ses démarches restèrent vaines. Bien que très jeune encore, Meneval vécut volontairement dans la retraite. Il demeura fidèle au souvenir du grand homme qu’il avait connu si intimement, pour qui il avait été un si utile et si dévoué serviteur, et dont personne autant que lui n’avait si longtemps possédé la confiance.

Le baron Meneval mourut le 20 avril 1850. En 1830, il avait revu le drapeau tricolore ; l’année de sa mort, il pouvait déjà entrevoir, prête à sortir pour la seconde fois des faisceaux de licteurs de la République, l’Aigle Impériale.


Henry Houssaye.