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peu émue, mais n’avait rien de gauche... La petite fête a été bien peu de chose. L’Impératrice s’est retirée immédiatement chez elle, a soupé avec l’Empereur et la reine de Naples, et s’est couchée sans voir personne. » Meneval, toujours fort discret dans ses lettres, n’en dit pas davantage. Il faut se reporter à ses Mémoires pour être mieux renseigné : « L’Empereur imita la conduite que tint Henri IV dans une pareille circonstance. Un appartement avait été préparé pour l’Empereur à l’hôtel de la Chancellerie, mais son impatience ne lui permit pas de se soumettre à cette partie du cérémonial. Il ne quitta pas le château, laissant le champ libre aux conjectures. »

Meneval accompagna encore Napoléon en Russie, mais ce fut sa dernière campagne. Il était déjà souffrant avant de passer la frontière ; son mal empira par les fatigues de la marche, l’excès du travail, l’émotion et la tristesse profonde qu’il ressentit de l’incendie de Moscou. Il écrit le 16 septembre 1812 : « La pauvre ville de Moscou est en feu ; elle brûle depuis hier soir d’une manière épouvantable. C’est un spectacle à la fois horrible et imposant que l’embrasement d’une ville dix fois plus grande que Paris. Je me figure que le jour du Jugement dernier doit beaucoup ressembler à cela. C’est le gouverneur russe qui, en partant, a légué ce malheur à la ville pour nous priver des ressources que nous y aurions trouvées. Il y avait de quoi nourrir, abreuver, habiller, chausser, coiffer toute l’armée pendant un an. » Autre lettre du 25 septembre : « Ma mélancolie n’avait pas besoin de l’aliment qu’elle trouve dans le déplorable aspect qu’offre Moscou. J’ai eu la curiosité de parcourir hier les principaux quartiers. J’ai marché trois heures au milieu des décombres, des cendres et de la fumée, sans rencontrer une âme vivante, si ce n’est de loin en loin quelque misérable femme russe, couverte de haillons et cherchant sous les débris quelques guenilles échappées aux flammes. Une pluie continue et un ciel nébuleux n’égayaient pas le tableau. Je suis rentré dans un abattement qui dure encore. » Du 19 octobre au 5 décembre, Meneval suivit l’armée en retraite, étendu dans une calèche que, par égard pour lui, l’Empereur avait exceptée de la destruction générale des voitures. A Samorgoni, « lieu célèbre, dit-il, par l’Académie des ours, car c’est ici qu’on excelle à leur apprendre la danse et autres exercices, » Murat lui donna un traîneau. Il gagna rapidement Wilna, Kowno, Kœnigsberg, Metz et arriva