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Encore très jeune (il avait vingt-quatre ans), insoucieux de l’avenir, sans grande ambition, jaloux de son indépendance et aimant le plaisir, Meneval ne souhaitait que demeurer au cabinet de Joseph. Cette situation lui donnait peu de travail, beaucoup d’agrément et autant de liberté qu’il en voulait. Un beau matin du mois de mars 1802, Joseph lui annonça que le Premier Consul désirait le voir. « — Son intention, dit-il confidentiellement, est de vous attacher à son cabinet. Il a à se plaindre de Bourrienne. Lorsque vous serez bien au courant, il le congédiera, et vous prendrez sa place. » Le premier sentiment de Meneval fut la consternation. Il supplia Joseph de détourner Bonaparte de ce projet, alléguant qu’il ne se sentait nullement propre aux fonctions qu’on lui destinait et que, d’ailleurs, il tenait par-dessus tout à son indépendance. Joseph le raisonna, lui dit que « ce serait folie de repousser cette avance de la fortune que son amitié lui avait ménagée. » Bernadotte, qui vint se mêler à l’entretien, se mit aussi en frais de paroles pour déterminer Meneval. « — Comment refuser, s’écria-t-il, le bonheur de vivre auprès d’un si grand homme, d’être le témoin continuel des inspirations de son génie ! » Étrange démonstration de la part d’un homme qui, précisément à cette époque, complotait de renverser le Premier Consul en marchant sur Paris avec l’armée de l’Ouest !

Meneval comprenait bien quels avantages lui apporterait l’entrée au cabinet du Premier Consul, quel puissant intérêt il trouverait dans le commerce continu de Bonaparte. Tout de même, ce n’était pas l’agréable existence qu’il rêvait. Il était loin d’être décidé, quand, le 2 avril au matin, il reçut un billet de Duroc lui annonçant que le Premier Consul le recevrait aux Tuileries à cinq heures de l’après-midi. C’était un ordre. A l’heure sonnante, il était introduit par Duroc, gouverneur du Palais, dans le salon de Mme Bonaparte. Joséphine l’accueillit avec bonté, lui par la du motif qui l’amenait aux Tuileries, écouta et combattit les objections qu’il ne craignit pas d’émettre. Au moment où elle venait de lui apprendre que le Premier Consul le retiendrait à dîner, Louis entra, puis Hortense, et la conversation devint générale. Cependant les heures s’écoulaient. Un peu après neuf heures, Meneval entendit un pas pressé dans un petit escalier communiquant au salon. Il sentit à son émotion qu’il allait se trouver en présence du Premier Consul. « Mme Bonaparte, raconte-t-il, me présenta à lui. Il daigna m’accueillir avec une aménité qui dissipa