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s’appeler ni une séduction, — à moins que la séduction n’ait été réciproque, — ni un abandon, rien n’ayant été prémédité.

De quelque nom que cela s’appelât, il n’était plus tranquille maintenant. Consultant de nouveau sa montre, il sortit, un peu avant trois heures, du pavillon que la pauvre reine appelait « sa petite maison » sans soupçonner combien la calomnie prenait à la lettre ce nom déshonoré.

La bruine avait cessé de tomber lorsqu’il pénétra dans le jardin qu’il n’avait pas revu depuis le temps où à chaque arbre, à chaque allée il associait une espérance ou un souvenir. Le contraste des sentimens qu’il y avait laissés et de ceux qu’il y rapportait le frappa du genre d’effroi que nous causerait un fantôme impossible à reconnaître, venant dire : « Je suis ton moi disparu. » Plusieurs êtres se succèdent en nous, de l’adolescence à la tombe, et ils sont singulièrement étrangers les uns aux autres. Si enthousiaste, ce petit Jacques de Bresle ! si sincère, si dépourvu d’ambitions, sauf une seule, l’ambition d’être aimé, qui n’avait rien à faire avec celles dont étaient résultés depuis tous ses actes.

— Bah ! pensait-il, en s’excitant au dédain, enfantillages que tout cela, qualités de jeunesse et de tempérament !

Mais ses qualités acquises, fruits amers de l’âge mûr, calculs, indifférence, science désenchantée de la vie, valaient-elles davantage ?

Les lieux où il pénétra lui parurent avoir subi la même métamorphose que lui-même. Pour eux aussi, l’hiver aride et sans fleurs allait bientôt commencer. Les préludes avaient, dans le désordre voulu de jardins agrestes, où tout semble pousser à l’aventure, un caractère plus étrange que sous les colonnades régulières du grand parc monumental, quelque chose de fantastique dans la mélancolie. Cette journée grise et tiède encore, était comme ouatée de vapeurs. À travers la buée enveloppante, ce paysage si artificiellement simple, créé par le caprice d’une jeune souveraine qui s’amusait à porter le pot au lait de Perrette sur sa tête vouée à l’échafaud, apparaissait irréel et flottant, tragique Embarquement pour Cythère. De la rivière s’élevaient vers le ciel fumeux d’autres fumées ; elles restaient accrochées aux branches des bouleaux et des charmes, à la pointe desquelles tremblaient ce qu’on eût pu prendre pour des papillons d’or et de pourpre prêts à s’envoler. Le grand pin du Mexique éployait au-dessus des eaux sa noire verdure fardée de nuances rosaires cadavériques ;