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de palais prendre, envers le passé dont il fait les honneurs, l’attitude indifférente qui conviendrait en république. Celui-ci restait, autant que tout autre, serviteur des rois défunts et vénérait jusqu’à la mémoire des petits soupers de Louis XV, dont il avait coutume, dans ce Trianon dédaigné, de préciser l’emplacement avec un soin religieux.

— Très bien, nous commencerons à rebours de l’ordinaire, dit-il avec une glaciale condescendance.

Puis, changeant de ton pour prendre celui d’un écolier qui récite :

— Ceci, Messieurs et Mesdames, est un simple pavillon construit par Gabriel en 1766 ; la reine Marie-Antoinette en fit sa résidence favorite.

Sans écouter les inutiles explications données à une famille d’Américains ignorans du français, l’officier, — c’en était un, à ne pas s’y tromper, — parcourait les réduits charmans qui pour lui recelaient des souvenirs moins anciens que ceux de Marie-Antoinette. Ne s’était-il pas réfugié avec elle ici, par un autre jour de pluie, — de pluie propice et délicieuse celle-là, — au temps où il arrivait à leurs premiers rendez-vous plus empressé, plus ému qu’il ne l’était aujourd’hui ?

Pendant que le gardien faisait remarquer les sculptures des panneaux, expliquait la destination de chaque chambre, il écoutait une voix fraîche et vibrante lui répéter de ces mots qui semblent à un amant n’avoir jamais servi encore, bien qu’ils soient vieux comme le monde, il sentait un bras léger s’appuyer à son bras, il respirait un faible parfum de violette. Il était sous-lieutenant, amoureux de la plus jolie jeune fille de Versailles, cette Sylviane dont le nom précieux était maintenant en désaccord avec la figure d’une maîtresse de piano d’âge moyen, grave, dévote, estimable autant qu’estimée. Sa Sylviane du Petit Trianon, mal gardée par une mère infirme, se préparait à une carrière d’artiste qui devait, elle ne le confiait encore qu’à lui, la conduire à l’Opéra ; ses études musicales lui assuraient, en attendant, une certaine liberté. De cette liberté ils profitaient, ils abusaient ensemble. Et quel cadre pour une idylle que ces innombrables bosquets aux noms mythologiques, que cette architecture de rocailles et de charmilles qui rappelle les fêtes d’été où le Roi Soleil promenait ses caprices olympiens ! Quel exemple que celui des nymphes de tous les temps qui fuyaient afin d’être suivies ! Sur