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plantés en eucalyptus, les autres destinés à la culture, et l’on y établit une colonie de forçats, sous la protection du bois miraculeux. L’expérience aboutit à un désastre. Pour tirer d’affaire les malheureux qui tous avaient été atteints par les fièvres, il fallut 3 kilogrammes de quinine[1].

L’échec bruyant de cette tentative empirique est aisé à expliquer d’après la nouvelle théorie. Quelle action les eucalyptus et leur parfum pouvaient-ils exercer sur les causes réelles de la malaria ? Loin d’être pour les moustiques une sorte d’épouvantail, ils leur offraient un abri favorable pendant les chaleurs du jour. Puis, quand même les arbres auraient asséché le sol où plongeaient leurs racines, pas un germe morbide n’aurait été détruit par ce drainage aérien : ni la terre, en effet, ni l’eau, ni l’air même ne semblent receler le corpuscule qui provoque la malaria humaine, et qui est le parasite exclusif de l’homme et d’un insecte.

Pour que les eaux souterraines deviennent un foyer de fièvres, il faut qu’elles sortent de la terre et que, dans un repli du sol, elles affleurent à l’air libre. Ce qui est à craindre, ce n’est pas l’humidité profonde et cachée, c’est un peu d’eau amassée dans un creux. Point n’est besoin, pour répandre la malaria, d’un marécage ou d’un lac : toute mare, toute flaque dormante peut devenir un nid de moustiques. Dès lors il est facile de comprendre comment le travail humain est capable de provoquer ou de supprimer la malaria. Toute culture qui prend l’eau pour auxiliaire, comme les prés irrigués et les rizières, est en Italie un danger permanent ; aucune culture intensive n’est, à elle seule, un agent d’assainissement. En revanche, les villes populeuses affranchissent de la malaria la terre où elles s’élèvent. Entre les maisons pressées et sur le pavé poli, les eaux ne séjournent plus ; dans le sous-sol, les égouts forment un vaste réseau de drainage. Ainsi s’explique la destinée des cités de la Grande-Grèce. La construction de Sybaris, en plein pays de malaria, au milieu de torrens indomptables, a dû coûter bien des vies humaines ; mais, quand la ville a été construite, elle a vécu prospère, simplement parce qu’elle existait. Puis les Barbares ont passé, la ville a été rasée, et les eaux du ciel et de la montagne ont repris entre les ruines leur sommeil fatal, interrompu par l’industrie humaine. Rome, elle aussi, fut abandonnée à la malaria

  1. Tommasi-Crudeli, il Clima di Roma.