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et vont inoculer à un homme le poison qu’ils auront puisé sur le corps d’un autre homme. » — « Jette sur tes épaules ton gros manteau sombre, quand le soleil décline à l’horizon. » — « La fraîcheur du couchant engourdit l’organisme et laisse les minuscules défenseurs du corps humain en état d’infériorité contre le virus propagé par l’aiguillon des insectes. » On pourrait écouter longtemps cette sorte de chœur alterné, et toujours on s’apercevrait que les deux voix redisent, en termes aussi différens que possible, des vérités identiques.


V

Le savant qui, devant le sphinx de la Malaria, a trouvé le mot, serait moins utile que le paysan qui répète l’énigme, si, après d’ingénieuses découvertes, il n’avait toujours à offrir, en fait de prophylaxie, que les conseils d’hygiène populaire dont les ignorans se contentaient depuis plus de vingt siècles. Mais les médecins et les administrateurs, unis en Italie pour l’étude de la malaria, ont compris qu’en présence d’un danger national, la spéculation, du moment où elle se sentait sûre d’elle-même, devait aussitôt commander une action. Les écrits de vulgarisation publiés depuis un an ont écarté des remèdes récens qui s’autorisaient de théories controuvées ; ils en ont proposé d’anciens qui avaient été trop longtemps négligés ; ils en ont indiqué de nouveaux..

Il y a vingt ans, quand la malaria passait pour un miasme que dégageaient les terres humides, les plantations d’eucalyptus, prônées par quelques savans, firent fureur dans l’Italie entière. On leur prêtait toutes les vertus. D’une part, les arbres d’Australie, dont la croissance est rapide et les racines toujours altérées, devaient agir sur le sol spongieux comme des rangées de pompes vivantes. D’autre part, on imaginait que l’action fébrifuge que les feuilles d’eucalyptus exercent en infusion allait se répandre à la ronde dans les acres exhalaisons des grands arbres pâles. Avec une confiance que ne justifiait aucun précédent, on entama aux portes de Rome, en pleine terre de malaria, une vaste expérience. L’État s’entendit en 1880 avec les trappistes français qui dirigeaient aux « Trois Fontaines » une modeste exploitation agricole ; autour du couvent, de vastes terrains furent, les uns