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III

Pour atteindre la malaria, il fallait percer le mystère dont elle s’entourait. Avant d’agir, il fallait savoir. C’est des laboratoires qu’il convenait d’attendre l’ordre de bataille d’après lequel les législateurs devraient organiser pour la lutte les forces nationales. Or, depuis l’antiquité, les théories des savans qui s’étaient occupés de la maladie du peuple italien étaient construites avec les seules données de la tradition et de l’expérience populaire.

La malaria est de toutes les maladies infectieuses la première à laquelle on ait reconnu pour cause un parasite vivant. Le bon Varron, historien des plus antiques croyances italiotes et dépositaire des plus vieilles recettes agricoles, attribuait déjà les fièvres à d’invisibles animalcules qui naissent dans les lieux palustres[1].

Mais quel était le « milieu » qui servait à ces fermens animés de foyer et de véhicule ? Sur ce point les avis étaient partagés. La plupart admettaient que les germes morbides, nés dans les eaux dormantes et saturées de putréfaction, se tenaient en suspension dans l’air des régions paludéennes : d’où le nom même de la maladie. D’autres faisaient venir le fléau sur l’aile des vents : on soupçonnait tantôt le vent chaud du Sud, tantôt les vents frais qui soufflent de terre ; quelques-uns imaginèrent que la malaria traversait la Méditerranée et venait s’abattre sur la terre italienne avec le sirocco tout chargé du sable brûlant des déserts africains. Suivant une opinion qui a trouvé jusqu’à nos jours de savans défenseurs et qui semble remonter à Hippocrate en personne, l’on prendrait les fièvres intermittentes, comme les fièvres continues analogues à la typhoïde, en buvant de l’eau stagnante. Il y a quinze ans, on admettait couramment que les germes résidaient non point dans les eaux, mais dans le sol humide, et l’on en était venu à créer pour la malaria une catégorie spéciale, celle des « maladies telluriques. » Ces opinions contradictoires s’accordaient en un seul point : toutes elles donnaient le rôle principal dans la production et la propagation du mal à l’un des élémens

  1. Crescunt animalia quædam minuta, quæ non possunt oculi consequi, et per aëra intus in corpus per os et nares perveniunt, atque efficiunt difficiles morbos (De re rustica, I, 12).