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seule, produit en Italie les mêmes ravages que le paludisme au Tonkin ou à Madagascar et que l’alcoolisme en France.

Les faits qui viennent d’être réunis semblent concourir à décharger la responsabilité des hommes qui, en Italie, ont présidé depuis trente ans aux destinées de l’État et des villes, en rejetant sur la malaria le poids des fautes dont elle est coupable ou complice. Il faut pourtant en venir à un aveu, le plus grave de tous ceux qui ont été formulés après l’enquête de 1880, et le plus oublié : dans l’Italie du Sud, la malaria a augmenté depuis 1860. Le sénateur Torelli, qui a porté l’accusation, a nommé les accusées, qui sont l’Italie nouvelle et la civilisation dont elle s’est faite l’initiatrice dans les provinces arriérées. Les travaux des routes et des chemins de fer ont été poussés de tous côtés sans qu’on eût songé aux précautions nécessaires. Les déblais et les remblais ont bouleversé le cours déjà capricieux des torrens ; des flaques d’eau de pluie ont croupi le long des voies dans les excavations laissées béantes. Puis il a fallu, pour poser les rails, des traverses par milliers, pour bâtir les gares et les cabanes de cantonniers, des planches et des poutres : les compagnies obtinrent sans peine d’abattre tous les arbres dont elles avaient besoin. Devant les locomotives, de larges brèches s’ouvrirent dans les antiques forêts. Et quand les provinces, les communes, les particuliers, durent payer les frais des vastes entreprises hâtivement poursuivies, c’est encore sur les bois que l’on préleva la taille. Les chemins de fer, les impôts, les spéculations ont rasé de leurs chênes et de leurs hêtres toute la Basilicate et la plus grande partie des Calabres. Les eaux, longtemps emprisonnées dans les rets des racines profondes, ont repris leur liberté funeste aux campagnes et aux hommes, et, sur les plateaux où naguère des villages prospéraient au pied des forêts tutélaires, la malaria a étendu son empire.

Ainsi, en voulant améliorer la condition de la grande colonie indigente et malade qu’elle avait incorporée à la mère-patrie, l’Italie, par une rencontre déplorable et singulière, a provoqué une aggravation de la maladie. Elle doit tout essayer maintenant pour guérir un mal que, sans y penser, elle a compliqué : c’est à la fois une nécessité urgente et un devoir impérieux. L’égalité entre le Nord et le Sud de l’Italie ne sera acquise et l’Unité ne sera consommée que lorsque toutes les bonnes volontés se seront unies contre le fléau qui attaque l’existence même de la patrie retrouvée.