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Or, les trois quarts des « petites mains » ne connaissent pas leur métier ; elles peuvent coudre, voilà tout. On ne veut plus faire d’apprentissage, c’est un trop gros sacrifice, et les enfans, casés trop jeunes par les parens, tant bien que mal, pour réaliser un gain immédiat, ne savent rien, pas même soutenir leurs points aux endroits où il est nécessaire. On ne peut se fier à elles et, si l’entrepreneuse n’existait pas, ces incapables mourraient de faim. Il est indispensable de les guider, de repasser le travail après elles pour obvier à la mauvaise fabrication. Si d’ailleurs on approfondit la moyenne des risques et des bénéfices de ces intermédiaires, le nombre de ceux qui s’enrichissent et de ceux qui se ruinent, on apprécie ce que valent, dans un prix de revient, leur activité et leurs efforts.

Encore faudrait-il, observe-t-on, que les plus déshéritées des ouvrières eussent de quoi vivre ; et l’on s’indigne contre ce que l’on a tôt fait d’appeler le « sweating system, » l’exploitation de la sueur. N’empêche que ceux mêmes qui parlent ainsi s’appliquent, quand ils achètent quelque chose, à payer le moins cher possible. Or les tarifs de façon rivalisent, les uns avec les autres, sur toute la surface du monde civilisé. Nécessairement les plus bas font la loi aux autres, et il existe des hameaux en Europe où les femmes gagnent six sous par jour.

Sans sortir de France, beaucoup d’entreprises installées en province, en Bretagne, à Nancy, à Châteauroux, font travailler autour d’elles des paysannes qui acceptent en hiver, — jamais en été, — des salaires très modestes. Toute l’année fonctionnent, auprès de centres miniers, de forges, de grandes usines où les hommes sont occupés, des ateliers analogues. C’est un bienfait pour ces ménages d’ouvriers et de cultivateurs. A Paris même, la femme mariée, la jeune fille vivant sous le toit paternel, sont heureuses d’un gain modique, qui augmente le bien-être du foyer et avec lequel la célibataire, isolée dans sa mansarde, consume ses forces sans « joindre les deux bouts, » suivant l’expression vulgaire.

Qu’en conclure, sinon que, pour les capacités médiocres ou ordinaires, la couture n’est un métier possible dans la capitale qu’à la condition d’habiter en famille ? Il n’y a là rien d’injuste ni d’immoral, rien dont on puisse faire un crime à la société ; d’autant qu’il existe, pour les femmes seules et indépendantes une infinité d’autres emplois, — et le nombre en augmente tous les