Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 160.djvu/835

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recevant en outre, de la part des clientes satisfaites, des cadeaux de prix, bibelots, bijoux, de l’argent même. Telle Américaine les gratifie, à son départ de Paris, de toute sa monnaie française dont le stock peut atteindre jusqu’à un millier de francs.

Les longues séances d’essayage prêtent à la causerie ; il se crée, entre la femme qui habille et celle qui est habillée, un semblant d’intimité qui permet d’aborder toutes les questions. Entre la pose de deux épingles, ces demoiselles pénètrent bien des secrets, se chargent de bien des sortes de messages ; elles ébauchent et négocient parfois des mariages véritables. Le chiffon abolit si bien les distances et autorise tant de familiarités ! A la reine d’un pays voisin, dont les dessous étaient quelque peu négligés, une « première » qu’elle affectionne particulièrement ne se gêna pas pour dire, un jour qu’elle lui enlevait sa robe : « On n’imaginerait pas qu’une reine a un corset si sale ! — C’est le vieux, répond la souveraine, donnez-moi vite un cache-corset. — Votre Majesté nous dit toujours que c’est le vieux, réplique imperturbablement la demoiselle, mais nous ne voyons jamais le neuf ! »

Ce sont les vendeuses qui tracent le plan de la robe future et en font le prix, par un rapide calcul mental de l’étoffe et des accessoires, doublure, garniture, fleurs et broderies. Elles doivent autant que possible, pour guider les choix, se rappeler ou voir tout de suite à qui elles ont affaire, connaître l’entourage et les parentés de la dame, surtout le chiffre qu’elle ne dépassera pas ; à celle-là il ne faut point montrer d’abord un tissu trop riche, parce qu’ensuite elle ne voudrait plus en agréer de moindres.

Devine-t-on au contraire, dans la nouvelle venue, quelque sujet opulent, mais timide, ou bien une de ces folles de parure, comme Paris en voit débarquer chaque printemps, les vendeuses habiles s’en emparent, l’entreprennent et, à telle cliente transformée par l’ajustement, heureuse de se voir embellie au delà de ses espérances, elles « arrivent à faire dépenser, » — c’est leur terme, — 50 000 francs dans une saison. Pour élevé qu’il soit, ce dernier chiffre n’a rien d’insolite. En l’espace de douze mois, une vieille Américaine, célèbre par son luxe, paya pour 290 000 fr. de factures à son couturier. De pareilles notes représenteraient un nombre inouï de robes moyennes, à 7 et 800 francs chaque ; mais quelques articles exceptionnels suffisent à grossir rapidement le total : telle bar maid anglaise, épousée pour sa beauté par un